Ethel a toujours été en admiration face à sa grand-mère Marie, la juive hongroise, femme forte et imprévisible. Marie qui a fui son pays pour la France alors qu'elle n'était encore qu'une enfant. Marie qui a perdu son petit frère, sa mère et son père dans l'horreur de la seconde guerre. Marie enfin qui n'est plus tout à fait Marie depuis qu’Alzheimer s'est invité à la fête. Plusieurs fois par semaine, Ethel rend visite à cette grand-mère qui s'échappe et tente de retrouver une complicité qui s'étiole trop vite. Si ces visites sont pénibles, elles permettent aussi à Ethel de sortir d'un quotidien qui ne la satisfait pas : sa carrière d'illustratrice peine à décoller et ses relations avec Côme, un chercheur en histoire sociale, naviguent depuis trop longtemps entre amitié et amour platonique.

Un soir, quand Côme lui montre les derniers éléments de ses recherches sur des fugues d'enfants à la fin de la seconde guerre, elle croit reconnaître Marie sur une vieille photographie. Mais cela est impossible puisque la jeune fille en question est une jeune française et qu'elle porte une croix chrétienne autour du cou. Impossible ? Ethel n'en n'est plus si sûre. Et puisqu'elle ne peut demander à Marie de lui livrer la clé de ce mystère, elle décide de démêler elle-même les fils de cette histoire. Elle va à son tour changer d'identité pour recueillir les témoignages indispensables, quitte à mettre en péril ses relations avec Côme.

Ce premier roman a plus d'une qualité et d'abord celle de surprendre le lecteur avec un point de départ inattendu. En effet, s'agissant de secrets familiaux prenant leur source dans la seconde guerre mondiale, on s'attendrait plutôt à l'histoire d'une judaïté cachée pour échapper aux nazis. Quelle a donc pu être la motivation de la jeune Marie pour adopter une religion que beaucoup tentaient alors de dissimuler ? Et pourquoi avoir élevé sa fille et sa petite fille dans cette mythologie ? Pourquoi s'être recréé une famille imaginaire ? Clara Royer sait ici ménager le suspense et le lecteur recompose peu à peu le passé de Marie au travers des témoignages des survivants qui ont croisé  son chemin.
Mais au-delà de cette énigme, il y a le portrait d'une jeune femme, Ethel, en pleine crise identitaire : qui est-elle réellement ? Si Marie lui a menti, sur quoi peut-elle s'appuyer pour construire sa vie ? Totalement déboussolée, Ethel s'enferme dans ce secret et manipule Côme pour parvenir à mettre à jour la vérité. La narration à la première personne permet au lecteur d'être au plus près des doutes et errements de la jeune femme. Chacun des personnages est traité avec minutie et les relations qui les unissent sont tout aussi importantes que l'enquête menée par Ethel. Page après page, la romancière parvient à ménager la tension, et la vérité n'est finalement peut être pas là où on la croyait…

Clara Royer signe ici un premier roman surprenant et intriguant, qui donne la part belle aux personnages.

Laurence

Extrait :

Mais que pourrait-elle expliquer à présent qu'elle ne me reconnaît plus ? À présent que notre seule complicité est celle que je fantasme dans l'âcre odeur de son urine ? Pourtant, je voudrais comprendre, me rassurer : et si c'était moi qui m'ennuyais, moi qui avais eu besoin de me faire des histoires et avais fabriqué toutes ces traces contre son amnésie ? Parce que je ne pouvais pas vraiment espérer tout à l'heure qu'elle sorte de sa torpeur. Mais quand même. Moi, Ethel, je méritais un miracle et Marie ma déchue aurait dû me l'accorder, quand tout est si cruellement différent, quand je sais. Marie n'est pas juive. Elle est une enfant évadée d'ailleurs. Elle a édifié sa vie, la mienne, en un monstrueux échafaudage de mensonges. Car si Marie n'est pas juive, comment le serais-je, moi ?

Csillag
Csillag de Clara Royer - Éditions Pierre-Guillaume de Roux - 292 pages