Arezki vit comme un reclus dans sa chambre au sommet d'une tour de banlieue depuis près de trente ans. Élevé par un chauffeur routier du nom de Si Larbi, il est hanté par la question de ses origines et tiraillé par le désir du corps des femmes. Un soir, ravagé par la drogue, il descend de sa tour, rejoint les lumières de la ville et commet l'irréparable. Aussitôt arrêté il s'apprête à passer de longues années dans une cellule de prison, mais le directeur de la maison d'arrêt, Riddah, l'aide à s'enfuir. Il sera alors recueilli par Ryeb, un gardien de la paix dont la mère vient de mourir.
Quatre hommes unis par une même terre, une Algérie distante et berceau de toutes leurs peurs et fantasmes. Quatre hommes qui vont traverser la méditerranée pour retrouver le drame originel, incarné par la mystérieuse Nour.
Comme dans Zone Cinglée, Kaoutar Harchi se glisse dans une narration au masculin – partagée ici par les quatre hommes de ce récit – et construit son histoire à la façon d'une tragédie grecque. Il n'y a nulle espérance et le récit pourrait sans doute se résumer à un sordide fait divers. Et pourtant, Kaoutar Harchi parvient à dégager de toute cette horreur, un récit poignant et universel.
On retrouve des thèmes déjà abordés dans Zone Cinglée, comme la répression sexuelle et les dégâts incommensurables qui en découlent. Si l'auteur ne cherche en aucun cas à amoindrir l'abomination des actes, elle cherche à en comprendre les origines, à démêler les fils de destins inéluctables. Comme dans Nedjma de Kateb Yacine (pour lequel la romancière a une grande admiration), les personnages de Kaoutar Harchi sont obnubilés par une figure féminine algérienne quasi-mythologique. Ici, elle s'appelle Nour et symbolise à la fois la figure maternelle, la tentatrice et la mémoire de l'horreur des hommes.
Nour habite dans le silence, accompagnée par le vol des insectes. Nul de demande de ses nouvelles, certains pensent même qu'elle est une magicienne échappée d'un royaume en guerre. Elle vend ses nuits, gagne un peu d'argent. Quelque chose en elle attire les hommes avant de les rejeter.
Tout donc commencera et finira avec Nour et avec cette terre nourricière qui fait naître des sentiments si paradoxaux. Dans l'intervalle les hommes auront grandi et perdu leurs illusions. Mais le retour aux sources est inévitable et le dénouement implacable.
Paradoxalement Kaoutar Harchi déploie ici un style plus accessible que dans son précédent roman jeunesse. L'écriture est plus linéaire bien que le récit soit construit sous la forme d'un roman choral. Mais la plume de la romancière n'en reste pas moins puissante et poétique malgré l'atrocité des faits.
Un récit poignant et dérangeant qui confirme le talent de cette toute jeune romancière.
Du même auteur : Zone cinglée
Laurence
Extrait :
Allongé dans mon lit, la nuit creuse. J'entends les pneus qui crissent, les freinages à répétition, musique baroque des klaxons. À travers les cris des concierges alarmés, je devine les concerts qui se préparent. J'ai besoin de rompre tout contact avec la réalité, alors je bois, fume; des nuages flottent autour de moi, envahissent ma chambre au point de former des oasis ultimes qui amplifient mes rêves et me voilà en pleine hallucination, qui dérive de délire en divagation. Je vois une femme qui n'existe pas, la Cendrillon enferrée. Farouche matelot sur une barque à la dérive, je suis guidé par un drapeau noir funeste qui me pressure le cœur, m'attire au-delà des rochers. Elle, l'étrangère, est ce n'est pas de ce monde, domine mon imagination du haut de ses ruines romaines et me bouleverse. Son chant ne me quitte pas, se mêle aux sérénades des voitures lancées à toute vitesse dans la ville des grandes tours lumineuses, fissure ma mémoire de notes abyssales dont le fond n'est autre que cette zone cinglée, mon enfance saccagée. L'eau suinte des tuyaux rompus et les murs tournoient. Je titube, tombe, me relève, retombe. Je voudrais descendre de ce manège infernal. L'air qui entre par le fenêtre ne me suffit pas, alors je me précipite dehors et respire à plein poumons. Peu à peu, je retrouve mes esprits.
L'ampleur du saccage de Kaoutar Harchi - Éditions Actes Sud - 119 pages
Commentaires
samedi 20 août 2011 à 16h03
Merci Laurence, j'attendais un premier avis sur ce livre qui me faisait déjà très envie.
dimanche 21 août 2011 à 10h12
Stéphie : mais avec plaisir.
Avais-tu lu son précédent roman pour la jeunesse ? Pour ma part, j'avais été vraiment soufflée par son style et son propos.
dimanche 21 août 2011 à 11h55
L'Ampleur du saccage, en un mot : fulgurant !
A LIRE IMPERATIVEMENT
dimanche 28 août 2011 à 11h11
C'est un livre que j'ai trouve hyper dérangeant, décalé par rapport à ce qu'on a l'habitude de lire et l'auteur n''a rien à voir avec ce qu'elle écrit j'ai eu un peu de mal à m'imaginer cette fille mince qui pourrait la couv de certains magasines se torturer la tete à écrire ce livre. Je crois que pour écrire un texte comme ça en fait on peut qu'être torturée
dimanche 28 août 2011 à 11h37
Bonjour Linda,
oui, ce roman est dérangeant, je ne peux le nier. Mais quelle drôle d'idée de vouloir que le physique de l'auteur corresponde à ses écrits. Cette vision est on ne peut plus réductrice et sous-entend que quand on est belle on ne peut que se taire et sourire. Quant à l'état psychique de l'auteur, là encore cela me semble hors de propos et simpliste. Faudrait-il donc être fou pour écrire sur la folie ??
mercredi 1 février 2012 à 17h45
Bonjour,
j'ai rencontré brièvement Kaoutar Harchi lors du prix Tatoulu . J'ai remarqué que les avis étaient trés controversés quant à Zone cinglée . Moi, je reste subjuguée par cette histoire et son deuxième livre L'ampleur de saccage est tout simplement époustouflant. J'en viens maintenant à ma demande ... est-ce que l'un ou l'une d'entre vous saurez comment contacter cette auteure ?
Merci beaucoup
jeudi 2 février 2012 à 07h29
Bonjour Ella,
je crois que le plus simple est d'envoyer votre courrier à son éditeur qui fera suivre. Sinon, il me semble aussi qu'elle a un profil fb.
jeudi 2 février 2012 à 17h09
Merci beaucoup