Découpé en deux actes, la première partie de ce roman, « Le dehors du dedans » nous invite à suivre les pérégrinations d'un dénommé Walther. Il a fui celle qu'il aime et traverse l'Europe pour essayer des choses. Quoi ? il ne le sait pas très bien lui-même mais espère trouver la réponse en cours de route. Narré à la troisième personne et découpé en très courts paragraphes, ce voyage n'est pas celui des grands horizons et de paysages extraordinaires mais l'accumulation d'actions factuelles, d'impressions anodines, presque banales, d'un homme attiré par les détails.

L'arrivée en ville contraste avec la route.
Bruxelles est cernée de brouillard. Éric est épuisé.
Devant des entrepôts vides, il serre la main de Walther
avec moins de force qu'au départ. Il lui souhaite bonne
route et son rire tonitruant ricoche une dernière fois
sur les trottoirs. Walther hésite à prendre le métro
pour atteindre le centre ville. Finalement il suit
tranquillement les lignes de pavés. Un vendeuse
de parfum qui fume devant son magasin regarde
disparaître sa silhouette à l'angle de la rue.

Cette première partie m'a laissée perplexe tant le choix formel – l'écriture versifiée – m'a semblé ici artificiel et n'apportant rien de plus au rythme de la lecture. Je l'ai d'ailleurs lu comme si c'était écrit en prose et me demandais où l'auteur voulait en venir.

Heureusement, dans le second acte « Le dedans du dehors », ces retours à la ligne prennent tout leur sens. Le narrateur – peut-être, est-ce l'homme que nous avons suivi dans les premières pages – est cloîtré chez lui. On pourrait penser qu'il a tout pour être heureux : une épouse qui l'aime, un enfant qui vient de naître.

On fait les comptes. On perd. On continue. On court
après les petites choses. La grande nous tient debout.
La grande est minuscules. La grande chose fait soixante
centimètres. Elle nous tient dans ses bras. Ridiculise
nos peurs. Elle nous sourit. On est là. On veut être là.
On veut la protéger. On veut croire qu'on ne nous reprendra
pas ce qu'on nous a donné. On veut croire à demain.
On reste vigilant. On ne peut pas vraiment y croire.
Pas totalement. On garde le goût des absents. Le goût
des peines. Le goût des pertes. On ne veut pas y penser.
La grande chose nous tient debout. La grande chose
est minuscule. Elle tient tout entière dans nos bras.
Elle tient tout entière dans nos cœurs. On est là.
On veut être là. On reste là. On continue.

Et pourtant, il semble s'enfoncer dans une profonde dépression, rien ne le rend vraiment heureux. « Peut-être que c'est ce qui me caractérise le plus. / Cette distance farouche qu'il y a entre moi et les autre. / Entre moi et la vie. [...] Je suis une présence derrière / un rideau diaphane. Je ne suis que ce qui me maintient / à distance du monde. Tout ce que j'ai c'est cette distance. »

Cet homme noyé par la mélancolie a un échappatoire : l'écriture dans laquelle il se plonge aux petites heures du matin. « L'écriture a été pour moi un moyen d'être compatible/ avec l'existence. De me concilier avec le monde. / De me réconcilier. Un moyen d'avoir une prise sur lui. / Sur ce sable. Sur ce sentiment que les choses ne tournent / pas rond. Sur la perte. Sur l'instant. Je crois que nous / ne sommes pas fait pour vivre comme nous vivons. / Je ne suis même pas sûr que nous soyons fait pour vivre / tout court. Mais l'écriture, c'est comme l'amour, / ça nous donne une prise valable sur tout ça. »

Il a ce regard affûté sur tout ce qui l'entoure, un œil comme un microscope qui accentue à l'excès ce qui pourrait paraître quelconque à la plupart d'entre nous. Et c'est cette accentuation même qui le relie au monde et l'en tient éloigné.

Petit à petit, au fils des tableaux qui se succèdent, le lecteur se laisse porter par le rythme et une écriture sensible et poétique. On s'arrête sur un paragraphe ; on le relit pour le plaisir de sa musicalité ; un autre nous interpelle par la justesse des sentiments qui y sont décrits. Si j'avais traversé la première partie avec une relative indifférence, j'ai été particulièrement émue par la seconde qui raconte tous ces petits rien qui nous bouleversent et nous rendent meilleurs. Un texte que je relirai avec plaisir, glanant en fonction de l'humeur tel ou tel passage.

Du même auteur : Ici ça va

Laurence

Extrait :

Avant l'hiver / Avant la nuit

Au fond du jardin, une bande d'herbe est délimitée
par la lumière du couchant. Je viens de l'apercevoir
de ma fenêtre ce rectangle orange vif, brillant, avenant.
On dirait un couverture en laine, un hamac,
quelque chose de tendre et de confortable. On dirait
un peu de repos, un répit, un sourire. On dirait des glaçons
dans un verre de sirop. On dirait le printemps. Une peau.
On dirait une question d'enfant. Le temps d'écrire cela,
la bande de lumière a disparu. L'herbe frissonne.
Il fait nuit.

Un Livre

Un livre, ce n'est pas un dialogue. Ce n'est pas une réponse,
ni une discussion. Un livre c'est quelque chose qu'on
te donne. De mots qu'on te met dans les mains en
te touchant l'épaule. Rien de plus. Rien de moins.
Rien d'autre. Un livre, c'est un après-midi de fin juillet
après quelques jours de déprime. Tu as passé ta journée
à reprendre des forces au bord du ruisseau. Juste en
tenant la main de quelqu'un sous les ombres. Ensuite
tu es rentré, as remplacé tes chaussures par de vieilles
espadrilles, allumé un Cohiba. Et le chien à tes pieds.
Et le vent dans le feuille. Et puis tu as ouvert ce petit
livre qui dort à la belle étoile sur la table de la terrasse
depuis deux bonnes semaines. La terre ronde de François
de Cornière. Tu l'as lu d'une traite. Et le chien à tes pieds.
Et l'odeur du cigare. Et le vent dans les feuilles.
Il y a plus de dix ans, quelqu'un quelque part t'a donné
quelque chose en écrivant ces mots. Et tu ne savais pas
que ce serait pour toi. Et il ne savait pas que ce serait
pour toi. [...]

Nos cheveux blanchiront avec nos yeux
Nos cheveux blanchiront avec nos yeux de Thomas Vinau - Alma Éditeur - 111 pages