Basilio est un jeune homme taiseux qui vit et travaille à Guernica. Les rumeurs de la guerre ne semblent pas avoir d'emprise sur lui. Sa vie est simple et il est tout empli de sa passion pour la peinture. Il aime surtout passer son temps à observer et peindre les hérons dans les marais avoisinants. Un matin, il s'installe pour peindre une nouvelle fois un héron. Ce sera un cadeau pour Celestina, belle jeune femme qui lui plaît.

Mais le ciel est vite encombré par les avions allemands venus pour bombarder sa ville. Alors sa toile deviendra un témoignage de la destruction méthodique de la ville, du massacre aveugle de la population. Bien qu'autodidacte, il veut se servir de son don pour représenter l'horreur de la guerre.
Plus tard, sous l'impulsion du Père Eusebio, Basilio ira à Paris pour L'exposition universelle. Il présentera sa toile au grand Picasso, qui lui présente pour la première fois son Guernica à lui. Les deux peintres ont eu la même démarche de témoignage de l'horreur de la guerre. Mais si Basilio était sur place, Picasso lui n'y était pas. C'est ce qui interroge Basilio et le lecteur à sa suite, alors qu'il regarde intensément l’œuvre exposée, aux côtés du maître – rencontre forcément fictionnelle mais parfaitement plausible. Qu'est-ce qui compte le plus : la toile de celui qui rend compte du réel, comme sur les photos du Père Eusebio prises lors du bombardement, ou bien celle de celui qui, par sa puissance de création, rend si parfaitement toute la violence sous toutes ses formes, sa révolte contre toute guerre ?

Comme un peintre déposant par petites touches, sans aucun mot de trop, jouant à merveille des silences si éloquent, avec son écriture si fine, pleine de sensibilité, Antoine Choplin rend parfaitement le cours d'une vie simple, celle d'un homme, celle de sa ville qui vont être bouleversées l'une comme l'autre par une guerre éclaire, sanglante, aveugle. Il nous questionne également sur l'utilité de l'art, sous toutes ses formes, à témoigner d'événements bien réels. Chaque regard est unique et à sa propre valeur artistique, que l'on soit un des plus grands artistes du Xxème siècle ou simple autodidacte.

A lire pour l'écriture d'Antoine Choplin, pour Guernica, pour l'art, pour les hérons.

Du même auteur : Cour Nord, Apnées

Dédale

Extrait :

Basilio a réinstallé son matériel au même endroit que dans la matinée. Il a fait ça avec soin, en y mettant le temps qu'il faut pour se laisser reprendre par sa peinture. C'est pas si facile après le brouhaha du marché, la vente du cochon, la liasse de billets dans la poche.
Sous le couvert des arbres, la température est agréable. Il ne pleuvra pas aujourd'hui.
Les manches retroussées, palette en main, Basilio détaille longuement son travail du matin, approchant le nez ou prenant parfois un ou deux pas de recul. Furtivement, il arrive aussi que son regard s'allonge jusqu'au héron, le vrai, debout là-bas contre les roseaux.
Il se dit que peut-être, ce soir, il en aura fini avec lui, et qu'il pourra aller trouver Celestina pour le lui offrir.
Avant de lui poser dans les mains, il faudra lui répéter combien le héron peint est différent du héron que l'on voit et encore plus du héron tout court, tel qu'en lui-même.
Il lui dira aussi qu'il regrette un peu cette idée de lui donner une peinture de héron. Que bien sûr, il est heureux de pouvoir lui offrir quelque chose ; et en même temps, que le moindre caillou ramassé par terre aurait sûrement plus de valeur.
Bien entendu, elle protestera. Mais il voudra qu'elle comprenne. Lui offrir un caillou, ce serait l'inviter à porter un regard sur un objet véritable. Sur une chose d'origine, et non pas sur une esquisse de représentation, forcément imparfaite. Ce serait déjà, de la part de Basilio, un geste d'artiste. Plus modeste, mais quand même. Alors, il lui dira sa crainte, avec la peinture de héron, de passer pour prétentieux. Il lui expliquera, en détail, tout ce qu'il pense de cette peinture médiocre qu'il lui remet, tu parles d'une idée. Il lui dira aussi, que la seule bonne raison de lui donner ça, c'est sa conviction que lui, Basilio, ne sait rien faire de mieux. Il repose sa palette à même la terre moussue. Lève les yeux vers le ciel.
D'abord, c'est juste un faible ronronnement au lointain.
Il voit le héron qui fait quelques pas nerveux vers l'arrière jusqu'à disparaître parmi les roseaux.
Lentement, le bruit s'intensifie et change de texture. Gagne dans les graves.

Le héron de Guernica
Le héron de Guernica de Antoine Choplin - Éditions Rouergue - 159 pages