Tout commence ou presque lorsqu'une femme tombe du ciel et s'écrase aux pieds de Bartolomeu Falcato, le jour où sa maîtresse Kianda, célèbre chanteuse de son état, lui annonce qu'elle le quitte. La femme tombée du ciel n'est autre que Nûbia de Matos, superbe noire, mannequin, journaliste, Miss Angola. Nûbia a côtoyé tout ce que l'Angola compte de personnes influentes. Certains avaient des raisons à sa disparition. Le même jour, Bartolomeu reçoit un appel téléphonique le prévenant qu'il doit fuir, qu'il va être assassiné. Bartolomeu sera-t-il la prochaine victime ?
Pourtant, Bartolomeu, écrivain et documentariste, borgne depuis l'explosion d'une mine, décide de ne pas fuir mais plutôt de tenter de comprendre ce qu'il se passe. Il va ainsi croiser les chemins d'un trafiquant d'armes ambassadeur auprès du Vatican, d'un guérisseur ambitieux, de Mickey, ex-démineur aveugle, Mäe Moncinha, une prêtresse du candomblé adepte du mariage et officiant dans un bar, L'orgueil grec, d'un jeune peintre autiste prenant les murs de la ville pour toiles, sans oublier un ange noir, une fillette-chien ou même de Benigno, beau-père de Bartolomeu, attaché depuis toujours au ministère de la Sûreté du pays et très friant d'oxymores. Je n'entre pas plus dans le détail de tout ce beau monde parce que je n'ai pas le talent de J. E. Agualusa. Et ce serait gâcher la découverte.
Le lecteur se trouve à suivre les déambulations, les cogitations de Bartolomeu au coeur de Luanda, capitale de l'Angola et de découvrir un peuple adepte de tous les possibles. Barroco Tropical est une histoire totalement biscornue, déroutante, mais si curieuse qu'elle semble l'être elle se lit parfaitement bien. Il faut juste lâcher prise, se laisser aller à ses tours et détours, qui offrent là un portrait saisissant mais au final très cohérent de l'Angola.
L’Angola, pays détenant des grandes riches minières, du pétrole mais où la pauvreté est presque endémique, où la corruption sévit à grande échelle, où tous les fanatismes religieux, les superstitions en tout genre ont pignon sur rue. L’Angola où les assassinats de personnes accusées de sorcellerie sont de plus en plus fréquents. Cela donne froid dans le dos. Serait-ce le prix à payer pour un pays à la fantaisie débordante, à l'inventivité, la création en continuelle effervescence ?
Quant à la forme, c'est tout aussi pétillant. Des sortes de notes en italique sont insérées de milieu ou bas de de pages, comme des apartés de Bartolomeu dans son récit comme des précisions sur un mot, un sentiment ou une personne. Une autre particularité de ce roman réside dans les titres des chapitres de ce roman comme si l'auteur écrivait une mini histoire dans l'histoire, avec des retours en arrière pour le cas où le lecteur n'aurait pas suivi ou simplement perdu le fil. J. E. Agualusa s'amuse et cela se sent dans son texte.
Pour preuve : une des célèbres chansons de Kianda est intitulée Barroco Tropical. Clin d’œil de l'auteur à ses personnages. Il est tout simplement l'auteur des paroles. Ce titre est également inspiré par le poète mozambicain Virgilio de Lemos, ami de Agualusa.
Bartolomeu étant écrivain, c'est un bon prétexte pour J.E. Agualusa de glisser quelques oxymores fort intéressants, comme des références à certains auteurs qu'il apprécie comme G. Garcia Marquez, Coetzee, Mia Couto ou bien Patricia Reis.
C'est aussi l'occasion pour l'auteur de parler, sous couvert de Bartolomeu, de littérature, de ses relations avec ses lecteurs ou de ses personnes qui l'abordent souvent dans la rue : « J'ai une histoire qui devrait vous intéresser ». Un homme de lettres qui garde les pieds sur terre et se qualifie comme « un sceptique qui a de l'éducation. »
Barroco Tropical pourrait être qualifié comme un recueil d'histoires extraordinaires. Normal quand tout se passe à Luanda, ville si particulière et définie si bien par Agualusa : Luanda est une pépinière de personnages insolites.
Laissez vous emportés par eux. Dépaysement garanti.
Du même auteur : Le marchand de passés, Théorie générale de l'oubli
Dédale
Extrait :
Les profits du pétrole ont fait fleurir de hautes bâtiments avec des murs réfléchissants. Ensuite, le prix du pétrole a baissé (sans filet de sécurité, il s'est effondré) et tout ce monde nouveau et radieux a connu lui aussi un collapsus. Il a cessé d'y avoir de l'argent pour laver les vitres immenses, lesquelles se sont recouvertes d'une couche rugueuse de poussière rouge, de boue, et enfin d'une carapace capable de résister aux averses les plus féroces et totalement imperméable à la lumière. Les pompes qui amenaient l'eau aux étages les plus élevés sont tombées en panne. Les générateurs aussi. Beaucoup d'expatriés sont partis. Les déshérités ont recommencé à occuper les immeubles.
Luanda se précipite à toute allure vers le Grand Désastre. Huit millions de personnes hurlant, pleurant et s'esclaffant. Une fête. Une tragédie. Tout ce qui peut arriver arrive ici. Ce qui ne peut pas arriver arrive aussi. Nous sommes au XXIe siècle. Nous en sommes très loin. Nous baignons dans la lumière. Nous sommes incroyablement riches. Nous produisons la moitié des diamants vendus dans le monde. Nous avons de l'or, du cuivre, des minerais rares, des forêts à exploiter et de l'eau en quantité. Nous mourons de faim, du paludisme, du choléra, de diarrhée, de la maladie du sommeil, du virus venu du futur, pour certains, et, pour d'autres, d'un passé sans nom.
Un jour, quelqu'un a peint une phrase sur le mur de l'aéroport international de Luanda : « Bienvenu à Lua. Entrez et laissez la raison à l'extérieur ».
(Lua est le diminutif affectueux avec lequel nous autres, Luandais, appelons notre ville. Je le trouve particulièrement approprié. Luanda partage avec la Lune – Lua – La même désolation aride et sauvage, la même poussière suffocante. Pourtant, comme la Lune, vue de nuit et de loin, elle semble belle. Illuminée, elle séduit. En outre, sa lumière a le pouvoir étrange de transformer des hommes simples en loups féroces.)
Barroco Tropical de José Eduardo Agualusa - Éditions Métailié - 274 pages
Traduit du portugais (Angola) par Geneviève Leibrich
Commentaires
mercredi 7 septembre 2011 à 21h53
Encore un livre dans ma PAL!
mercredi 7 septembre 2011 à 21h53
Sûrement un des très bons romans étrangers de cette rentrée littéraire. Je n'avais pas lu le "marchand de passé" mais ce Barrico Tropical a l'air bien alléchant, ce billet en donne envie.
jeudi 8 septembre 2011 à 07h32
Marimile, Alice-Ange, laissez vous tenter. Vous m'en direz des nouvelles
samedi 10 septembre 2011 à 20h46
Il me fait très envie, j'espère avoir le temps de le lire
mercredi 2 novembre 2011 à 13h27
Bonjour Dédale! c'est fait! je viens de terminer la lecture de Barroco... j'ai adoré ce livre qui m'a séduit par sa fantaisie, le côté baroque(le titre est vraiment bien choisi!)et cette façon de raconter des choses horribles avec drôlerie et humour.Il y'a une vitalité, une vigueur bien loin de nos littératures,qui m'a fait penser au réalisme magique des écrivains latinoaméricains des années 60et pus. Merci pour cette découverte.
mercredi 2 novembre 2011 à 14h05
Stephie, faut prendre le temps. Ce titre en vaut la chandelle.
Marimile, je suis ravie, ravie de cette nouvelle. Entièrement d'accord avec toi, vitalité, vigueur, baroquerie (tant pis si cela n'est pas français). Ça change effectivement. Maintenant, faut te laisser tenter par Le marchand de passé. Un autre genre mais encore une très bonne lecture, je l'espère pour toi, en perspective.
mercredi 9 novembre 2011 à 11h11
Le Marchand de passé a été commandé chez mon libraire préféré: je l'attends d'un jour à l'autre!
mercredi 9 novembre 2011 à 20h16
Dès réception, il faudra vite, vite te plonger dedans. Je compte sur toi, Marimile
mardi 15 novembre 2011 à 17h20
Une galerie de personnages incroyables, des histoires horribles dans un pays dévasté par la guerre et la corruption,le tout dans une langue magnifique.
Bravo a la traductrice pour avoir fait passer toute la "barroquerie" (bravo Dédale!)la poésie, la vitalité et l'amour d'Agualusa pour sa langue, amour qu'il nous fait partager par plein d'incidentes sur certains mots et l'invention de certains autres.