En somme tout est déjà dit. L'intrigue de Skoda est des plus simples. Sur l'évidence d'un acte purement gratuit. Tout l'attrait de ce court roman réside dans la langue très sobre, presque minimaliste d'Olivier Sillig. Il ne s'encombre d'aucun maniérisme, colle au plus juste, au plus court aux pensées de Stjepan, jeune homme déboussolé par l'attaque, la mort de ses camarades, cette guerre aveugle. On n'apprend quasiment rien sur la vie antérieure de Stjepan, c'est un taiseux d'une vingtaine d'années, sauf peut être son souvenir d'une petite hirondelle qu'il a sauvé d'un grand hiver. Est-ce pour cela qu'il a pris sous son aile, du moins dans ses bras, cette petite vie humaine sans défense ? Peut être est-ce aussi un moyen de ne plus être seul dans ce pays qu'il ne connaît pas ?
En tout cas, ils avancent sur la route, apprennent à vivre ensemble. L'enfant sera appelé Skoda. Au fil de leurs rencontres, Stjepan apprendra à couper le lait pour l'enfant, à réaliser que de purs salauds peuvent en savoir plus que lui sur les bébés, que les femmes trop souvent veuves font au mieux pour survivre, même si pour cela elles doivent, elles aussi, prendre les armes. Il marchera plus droit, plus fort, car responsable d'une petite vie, plein du pouvoir sur cette vie fragile. Skoda se laisse bercer au rythme des marches nocturnes, s'apaise avec les chants de Stjepan. Celui-ci sait parfaitement jouer tous les instruments d'une fanfare. Sa petite hirondelle aime bien.
Skoda, c'est court, simple, limpide, essentiel. Olivier Sillig y montre toute l'absurdité de la guerre, de la violence sous toutes ses formes, les hasards du sort. Et puis surtout que la vie continue, vaille que vaille. Peut être oui, peut être non.
Une très belle découverte.
Dédale
Extrait :
Stjepan s'examine un instant dans le rétroviseur extérieur, miraculeusement épargné, et part.
Aussitôt, dans sa tête, une petite voix se met à parler :
« Si le bébé s'était mis à pleurer, qu'est-ce que tu aurais fait ? »
Il accélère un peu le pas mais la voix revient à la charge :
« Et si le bébé s'était mis à pleurer ?
- Mais il ne pleurait pas.
- D'accord, mais si ?
- Mais il souriait comme un bienheureux.
- Combien de temps ça peut tenir un bébé si jeune ?
- Quand les soldats arriveront, ils s'en chargeront.
- C'est ça ! C'est leur job pendant que tu y es !
- Non, ce n'est pas leur job. Mais comme je suis moi-même militaire, ce n'est pas mon job non plus. »
Stjepan regarde sa chemise blanche. Il n'en a jamais eu de si belle, faut dire qu'il ne s'habillait pas le dimanche, préférant flâner en training. Maintenant il est en chemise blanche, pas en uniforme il n'est plus un militaire, il est un civil.
« Et les civils, est-ce que ça s'occupe de bébés ? »
La voix est insolente, la réponse est simple. Stjepan sent que son élan est cassé, qu'il en va plus pouvoir avancer. Alors il retourne encore à la voiture. Il évite de regarder les jambes de la jeune mère, parce qu'elles sont belles, que c'est du gâchis parce qu'elle est morte. Il se penche sur l'enfant et le prend avec une délicatesse infinie, lui qui n'a jamais touché de bébé, ou alors juste pour s'amuser lors du baptême du fils d'une cousine. À côté, il y a un sac, heureusement avec une courroie, qui contient des affaires de bébé. Il a été épargné, même pas une giclée de sang. C'est des trucs qui lui seront nécessaires. C'est pas pour lui, c'est pour l'enfant. Il ne passe sur l'épaule, la veste coincée dessous. Il reprend l'enfant, toujours maladroitement mais très doucement. L'enfant ouvre un œil.
Stjepan lui dit : « Salut, toi. »
Évidemment, l'enfant ne répond pas. Stjepan estime que le bébé a trois ou quatre semaines, mais il n'y connaît absolument rien.
« Et tu t'appelles comment ? »
Stjepan ne sait même pas si c'est un garçon ou une fille ce n'est pas le moment de regarder. Cette fois, il part. Mais il réfléchit à ce problème : garçon ou fille. La voiture qu'ils ont abandonnée, ça lui revient tout à coup, c'était dune Skoda. Stjepan n'est pas certain que Skoda soit un vrai prénom, mais ça sonne comme. Et ça peut aller aussi bien pour un garçon que pour une fille.
« Salut Skoda ! »
Skoda de Olivier Sillig - Éditions Buchet Chastel - 102 pages
Commentaires
jeudi 8 septembre 2011 à 18h48
Une très belle découverte pour moi aussi !! Ce livre est intéressant par sa portée "fable".
samedi 10 septembre 2011 à 20h45
Je m'en suis régalée moi aussi