Sur les hauteurs de la ville phocéenne, derrière un portail monumental, se cache une maison hallucinante :

Derrière ces grands feuillages qui ne laissaient rien deviner, jungle de bambous, de cannes et de roseaux, aux balancements langoureux. Dès l'ouverture du portail, mon regard fut happés par d'étrange miroitement dont l'origine m'apparut un instant plus tard, en levant la tête.
Fascinant…
Le sommet de l'extravagance des Verbeeke…
Le sommet de l'extravagance tout court… Je n'avais jamais rien vu de pareil. Pas même sur un de ces plans que Johan traçait avec fébrilité quand une idée jaillissait de son esprit.
- Tu as vu, papa !
Comment ne pas voir ? Un navire échoué au milieu des arbres.

Ce n'est pas un simple bateau, posé en cale sèche et réaménagé en habitation, mais bien une réalisation architecturale démentielle. Rien n'a été laissé au hasard : ni le pont d'embarquement, ni la piscine qui encercle l'ouvrage, ni le plancher en pente pour donner l'illusion du tangage, ni même le jardin qui donne l'impression d'être perdu en pleine mer :

Mon regard glissa du bleu matin au vert jardin, et, bizarrement, la transition fut insensible. La luxuriance et l'incroyable agencement des essences trompaient les sens. [...] D'une part, il avait privilégié arbres et arbustes pour créer le « mouvement », travaillant sur la hauteur des espèces, la forme des houppes, le type de feuillage et la densité des plantations. D'autre par, il s'était limité aux tentes bleues, vertes et blanches. Bleu et vert pour l'eau. Blanc pour les scintillements. Les autres couleurs se répandaient autour de la maison, à commencer par ces tresses violettes de bougainvillées enroulées autours des amarres avant. Les « aussières capelées sur des bollards », selon l'expression de Johan. En terme profanes, cela signifiait que le bateau était accroché à des bittes d'amarrage.

Smog est donc avant tout le roman d'un lieu. Le lieu où tout va se nouer pendant cet été caniculaire. Mais il faut maintenant vous présenter les protagonistes du drame : il y a donc Pierre Roubault, avocat d'affaire, divorcée puis veuf d'une seconde noce, qui élève seul son fils cadet Fergus. Pierre est un homme pressé qui n'a que peu de temps à consacrer au sien. Fergus lui, est un petit bonhomme timide mais de bonne composition. Il va immédiatement se prendre d'affection pour Marc et Aude Labeyrie, le couple de gardiens du Smog. D'ailleurs, Pierre n'hésite pas une seconde à leur confier Fergus lorsqu'il doit se rendre à l'étranger pour régler la succession des Verbeeke. D'autant que Joël, le grand demi-frère de Fergus, doit lui aussi passer l'été à bord du Smog. C'est donc l'esprit tranquille que Pierre quitte Marseille pour vaquer à ses occupations.

En effet, tout va rapidement se dérégler et la maison-bateau sera le théâtre d'un drame humain terrible et irréversible.

Avec ce premier roman, Jérôme Harlay nous plonge dans un huis clos poisseux et inquiétant. Construit sous la forme d'un roman choral, l'auteur donne la parole à chacun des acteurs du drame et laisse peu à peu entrevoir les mécanismes redoutables de la futures catastrophe. Prisonniers de ce lieu hors norme mais plus encore de leurs émotions, les personnages laissent leurs peurs, leur jalousie et leurs rancœurs prendre le pas sur leur raison.
L'auteur installe dès les premières pages une tension qui ne cessera d'augmenter jusqu'à l'explosion. Malheureusement, j'ai regretté que Jérôme Harley n'aille au bout de son entreprise de noirceur et la fin, si inattendue soit-elle, m'a déçue car j'aurais préféré un dénouement bien plus sombre, à l'instar de toute la narration. Mais elle ravira sans doute, tous ceux qui n'aiment pas que les histoires finissent trop mal.

Laurence

Extrait :

Nous avons longé la coque à bâbord, éblouis par les reflets cristallins du soleil. La maçonnerie était entièrement revêtue d'un parement métallique peint en blanc, excepté dans sa partie immergée, badigeonnées de vermillon. Cette bande horizontale, ligne de flottaison symbolique, affleurait la surface du bassin et plongeait sous l'eau jusqu'à une profondeur de deux mètres repérée par l'échelle de graduation. Sur toute sa longueur, la coque était percée de hublots aux diamètres variés, suivant qu'il s'agissait d'un simple point de lumière ou d'une véritable ouverture; mais pas une seule fenêtre, au sens classique du terme, sauf à l'extrémité où deux immenses baies vitrée, courbes et légèrement teintées, formaient la proue du navire. Nous étions arrivés au bout du « pont inférieur ». Au « pont supérieur », le bâtiment s'arrêtait en retrait, ajouré par une grande baie vitrée perpendiculaire aux deux bords. La proue faisait donc, à l'étage, office de terrasse. Elle était ombragée par une tonnelle de vigne et bordée de rambardes en tubulures métalliques. Le bois exotique vernissé de la main courante brillait au soleil, tout comme la cloche de bord en laiton balançant dans le vent.

Smog
Smog de Jérôme Harlay - Éditions Belfond - 309 pages