La terre, c'est celle de la Kabylie et du petit village d'Ighil-Nezman. Là où Amer a grandi aux côtés de ses parents, avant de partir dans les années 10 en France pour tenter de gagner sa vie dans les mines. Il y retrouve d'autres algériens, des membres de sa famille qui l'aide à s'intégrer. Mais après la mort accidentel de son oncle, pour lequel il est soupçonné, il quitte le Nord de la France. Il y retrouve Marie, qu'il a connu petite. Elle est la fille de ses anciens logeurs, et ils décident de partir à deux, lui le kabyle, elle la française, pour Ighil-Nezman.
Le retour sur la terre natale, entre les deux guerres, est également la confrontation avec les liens du sang. Les relations de voisinage sont compliquées, chaque famille exerçant à tour de rôle la suprématie dans le village. Et comme toujours dans ces petites communautés, tout se sait. Ainsi, les soupçons qui ont pesé sur Amer sont parvenus aux oreilles de ses oncles, en particulier de Slimane qui tente de faire parler Amer.
Quant à Marie, elle se fait appeler Madame par tout le village. Elle trouve petit à petit sa place dans le village, auprès de Kamouma, sa belle-mère, et de Chabha, la femme de Slimane. Mais les querelles villageoises reprennent le dessus, sur fond de difficulté à procréer et à donner un héritier à la famille.
C'est donc dans le cadre de ce petit village rural que se noue la tragédie d'Amer. Un peu à la manière d'une pièce classique, hormis le huis-clos même si une grande partie de l'intrigue se déroule dans le village, Amer est pris au piège d'événements qu'il ne contrôle pas. Il essaie de se débattre, de résister à ces forces, ces attractions féminines qui ne pourraient que le condamner, mais il doit se résoudre à céder. De ce fait, sa seule solution est de se cacher, de ne pas montrer ce que tout le monde réprouve, et de faire bonne figure.
C'est dans la difficulté du travail ouvrier, puis dans la sécheresse du village que l'histoire d'Amer se déploie. Une vie pauvre, difficile, dans laquelle il ne trouvera pas de consolation. Mais qui malgré tout n'est pas vaine pour tout le monde, Mouloud Feraoun évitant le misérabilisme et l'émotion facile. Un roman qui mérite vraiment qu'on y s'y attarde.
Extrait :
Madame est contente. En somme, elle n'est pas déçue. Elle s'attendait à moins. Il avait fallu partir à tout prix. Cette vie de chien, de chien pauvre à Paris avait suffisamment duré. Que le cadre au moins changeât ! Et voilà que ce n'est pas le cadre surtout qui a changé. Non, elle a toujours la même vaisselle. Quant à la bicoque de Kamouma, elle ne vaut guère mieux que la chambre meublée n°4. Ce qui a changé, c'est toute une société : une humanité puissante et dédaigneuse qui ne l'aimait guère, où elle ne compta jamais que comme un rebut, comme servante, parfois comme esclave. Un cendrillon pour tout dire, qui découvre un royaume à la mesure de son bon-sens de fille du peuple, le petit royaume d'Ighil-Nezman. D'un seul coup, elle trouve un monde où on la hisse au premier rang, à la première place. Finies les humiliations ! Son optique elle-même a subi l'illusion. Elle se voit très belle au milieu de ces paysannes, belle comme elle ne l'a jamais été. Ses robes de petite bonne lui paraissent somptueuses, son mobilier, son « home » vus sous un angle nouveau sont tous dignes d'être admirés. Cela lui donne une certaine assurance qui inspire le respect. Elle ne tire aucune vanité de sa nouvelle situation, mais elle est contente. Elle estime qu'elle a gagné au change.
La terre et le sang de Mouloud Feraoun - Éditions Points - 256 pages
Commentaires
vendredi 16 septembre 2011 à 08h19
Comme je te le disais dimanche, ce roman m'intrigue vraiment. Et puis, je ne connaissais pas du tout cet auteur. Merci donc pour cette découverte.
vendredi 16 septembre 2011 à 10h35
"Le fils du pauvre", "La terre et le sang" et "Les chemins qui montent" sont à découvrir et a redécouvrir.
vendredi 16 septembre 2011 à 17h57
Mouloud Feraoun est loin d'être un auteur oublié. Son Journal a été adopté en pièce de théâtre et passera au mois de février à l'Odéon. Sur La Terre et le Sang, lire: http://la-plume-francophone.over-bl...
Et sur la Cité des roses: http://la-plume-francophone.over-bl...
lundi 19 septembre 2011 à 22h34
Merci Nam de signaler que Mouloud Feraoun sera à l'affiche de l'Odéon, information que je n'avais pas.
Mais je reste convaincu que Mouloud Feraoun mérite une place plus importante, restant pour l'instant connu uniquement par quelques lecteurs assidus.
Laurence, je t'incite donc vivement à t'y plonger !
mercredi 21 mars 2012 à 23h05
Y a t-il eu une adaptation théâtrale de "LA TERRE ET LE SANG" ?
Ce texte est très beau et mérite d'être adapté au théâtre.
mercredi 24 octobre 2012 à 16h15
mouloud feraoun est un grand écrivain pour moi,
il a beaucoup souffert pour devenir instituteur,
j'ai lu la terre et le sang, lettres à ses amis, la cité des roses et les chemins qui montent,
ce dernier m'a vraiment ému
bref, c'est un écrivain simple, honnête dans ce qu'il raconte à travers ses romans
vendredi 23 août 2013 à 18h15
Comme un passage obligé, j'avais lu Mouloud feraoun, comme tout kabyle littéraire qui se respecte. Il n'y a rien à dire l'écriture fluide et percutante de l'auteur; je suis tombé sous le charme simple des choses de la vie d'antan.