Mais revenons au début :
Jean-Philippe Blondel a 22 ans. Sa mère et son frère aîné sont morts dans un tragique accident de voiture 3 ans auparavant. Le père conduisait. Jean-Philippe aurait dû être dans la voiture mais avait pris le train. Pendant trois ans, le père et le fils ont cohabité plus ou moins facilement. Plutôt « moins » que « plus » d'ailleurs. Quand le récit démarre, Jean-Philippe doit subir une opération bénigne quand il est réveillé brusquement : son ex-petite amie, Laure, lui apprend que son père vient de mourir à son tour dans un accident de voiture. Ironie du sort ? Suicide ? Ou simplement les conséquences d'une conduite dangereuse depuis de trop nombreuses années ?
Toujours est-il que Jean-Philippe se retrouve tout à coup orphelin pour la seconde fois. Une accumulation que n'oserait aucun romancier décent. Mais la vie et la mort, elles, n'ont que faire des problématiques d'écrivains et se foutent totalement de la vraisemblance. Alors voilà, c'est comme ça, et faudra bien faire avec. Mais faire avec quoi ? Difficile quand on est si jeune et que l'on a plus d'épaule sur laquelle se pencher. Sauf que Jean-Philippe a deux épaules, frêles mais généreuses : son ex Laure et Samuel son meilleur ami.
Mais même avec cette attention amicale de tous les instants, difficile de se projeter, de se dire qu'on a toute la vie devant soi quand la mort semble vous suivre de si près. Depuis l'annonce du décès, Jean-Philippe voit tout en noir et blanc. Les couleurs ont disparu, il n'y a plus que cette sensation poisseuse de ne plus être qu'au bord du chemin, en observateur résigné. Alors, profitant du règlement de la succession, Jean-Philippe vend l'appartement parisien et décide de s'offrir une escapade à Morro Bay avec les deux êtres qui lui sont le plus chers au monde. Pourquoi Morro Bay ? Parce qu'il y a cette chanson de Lloyd Cole que Jean-Philippe écoute en boucle depuis quelques semaines. Mais lui as-tu manqué vraiment ? Tu n'y as pas souvent songé. Tu gâche ta vie à Morro Bay
. Pour Jean-Philippe ce voyage ne peut être qu'un aller simple. Il n'a rien dit à ses deux amis, mais il ne souhaite pas revenir en France. Il ne sait même pas s'il souhaite simplement continuer.
Arrivés aux États-Unis, les trois amis louent une Ford Thunderbird, un véritable paquebot, et s'enfoncent dans la terre promise. Un voyage en voiture comme pour provoquer le sort. Comme pour se dire que l'ont peut rester vivant et que les couleurs reviendront baigner tous les paysages.
Depuis quelques années, l'écriture de Jean-Philippe Blondel semblait s'être apaisée. Après la douleur de Passage du Gué, et le cynisme de This is not a love song, il y avait une certaine douceur, une sérénité apparente, qui ont pu déconcerter les premiers lecteurs mais qui lui auront permis de rencontrer également un autre public. Avec Et rester vivant, Jean-Philippe Blondel renoue avec le deuil et la souffrance, mais la puissance émotive de Passage du Gué semble ici plus retenue et distante. L'auteur porte un regard très lucide sur cette époque de sa vie et parvient ainsi à éviter un pathos gluant et un apitoiement dérangeant. Les phrases sont courtes, sèches, parfois précipitées, mais toujours directes, comme des coups de poignard dans l'estomac. Et c'est en se bousculant, en n'étant jamais tendre avec lui-même, que le jeune homme va pouvoir se reconstruire.
Dans l'interview que l'auteur nous avait accordée en 2007, il nous expliquait croire à l'écriture de la convalescence
et effectivement, tous ses romans peuvent être vus à l'aune de cette définition. Celui plus encore que les autres. Sans doute parce que l'auteur ne se cache plus derrière la fiction, mais aussi parce que toute son œuvre précédente ne faisait qu'annoncer ce récit-là.
On retrouve ainsi, au fil de la lecture, une multitude de personnages ou d'épisodes croisés dans ces autres romans, comme la vente des objets et meubles de la maison familiale qui a donné naissance au Minuscule inventaire. Mais l'on retrouve surtout des personnages que l'on pensait de fiction : Samuel et Laure, en tout premier lieu, que l'on peut reconnaître dans This is not a love song ou dans le Passage du gué ; et puis Yohan, bien sûr, le protagoniste de Juke-Box. Si ce dernier m'avait perdue lors de son périple aux États-Unis, Jean-Philippe m'a embarquée avec lui à Morro Bay. En fait, on ne peut s'empêcher au cours de la lecture de penser aux autres romans de l'auteur tant les parallèles et les clins d'œil sont fréquents.
Mais ce qui me semble le plus important, c'est que Et rester vivant marque la fin d'un cycle, le début d'autre chose. Comme si l'auteur n'avait jusque-là cesser de tourner autour du sujet pour enfin être parvenu à en accoucher avec ce roman-ci. Et donc, en refermant Et rester vivant, je n'ai pu me défaire de mes interrogations : Et maintenant ?
Et maintenant que tout cela est posé, de quoi nous parlera Jean-Philippe Blondel dans ses futurs récits ? En fait, j'ai aimé Et rester vivant pour ce qu'il est, mais peut-être encore plus pour ce qu'il annonce.
(D'autres avis dans la blogosphère : Thomas, Marie-Claire, George, La ruelle bleue)
Laurence
Voir aussi :
L'interview de Jean-Philippe Blondel
6h41
Le baby-sitter
Passage du gué (Prix Biblioblog 2007)
1979
Juke-Box
Un minuscule inventaire
This is not a love song
Un endroit pour vivre
À contre-temps
Au rebond
G229
Extrait :
Ma grand-mère, fidèle à elle-même, ses yeux dans les miens, me crachant que je suis celui qui aurait dû y passer, et pas les autres, les autres, c'étaient des saints et, moi, je ne suis que de la raclure qui va récupérer tout l'héritage. Tout ça, juste avant d'entrer dans le cimetière.
Rien ne m'atteint.
J'évolue dans un monde noir et blanc - de longs travellings entrecoupés de petites conscience. Je pense à Stranger Than Paradise. Je me vois trimbaler ma valise près d'un lac gelé, au nord des États-Unis, ou dans une rue débouchant sur la plage de Morro Bay, en Californie.
Un homme, à la sortie de l'enterrement. Il me serra la main. Il répète : « Ah là là, quelle tragédie, vous perdez tout, vous, votre mère, votre frère et maintenant votre père, heureusement il vous reste la voile. » Je fronce les sourcils. Je réponds que, heu, je ne comprends pas. « La voile, les bateaux, quand on a une passion dans la vie, cela vous sauve, quand on en n'a pas, on sombre, et justement la voile, ça vous fera flotter sur les soucis. » Mon frère adorait la voile. Il avait même participé plusieurs fois aux championnat de France. Moi, j'ai toujours détesté ça. Je veux bien être dans l'eau, faire mes brasses coulées, enchaîner longueur sur longueurs, jusqu'à ne plus sentir ma cage thoracique - mais je ne supporte pas d'être à la surface, de filer sur les lacs ou les océans. Je ne suis pas au-dessus. Je suis au-dedans.
L'homme attend une réponse. Je fais oui de la tête. Après tout, si mon me mélange, quelle importance. Je suis soluble.
Et rester vivant de Jean-Philippe Blondel - Éditions Buchet/Chastel - 245 pages
Commentaires
lundi 19 septembre 2011 à 09h03
je me suis aussi posé cette question : et maintenant ? je ne suis pas sûre que les auteurs sortent jamais totalement d'une thématique, d'une interrogation qui les suit depuis des années, mais elles peuvent être utilisés différemment, et c'est ce "différemment" que j'ai hâte aussi de lire à présent !
lundi 19 septembre 2011 à 21h42
Ton billet est intéressant, je n'ai pas lu tous ses romans je n'ai donc pas vu tous les clins d'oeil. "Et rester vivant" m'a donné envie de lire ceux que je n'ai pas encore lus. Et comme toi, je suis curieuse de savoir ce qu'il va écrire maintenant.