Sergi Pamies, auteur catalan né en France dans les années 60, nous invite pour un voyage immobile et un tantinet surréaliste. Bon nombre des 19 nouvelles rassemblées dans ce recueil abordent la relation père/enfants, mais presque toujours de façon détournée et inattendue.
Ainsi, dans L'Illa Diagonal, un père suicidaire trouve une assurance-vie qui couvre le suicide afin de mettre sa progéniture à l'abri ; dans Les chansons favorites de Lénine, un homme fait l'inventaire de la maison de ses parents récemment décédés et replonge dans ses souvenirs ; comme celui de Cent pour cent soie naturelle qui se demande ce qu'il transmettra à ses enfants ; le narrateur de Mister Trujillo doit prendre l'avion avec sa femme et ses enfants et s'inquiète d'un accident qui laisserait sa progéniture orpheline ; un soir de vernissage, en Belgique, un père et son fils photographe, renoue un dialogue interrompu depuis des années sans échanger un mot.

Le deuil semble omniprésent et pourtant, l'écriture de Sergi Pàmies, même si elle est nostalgique, se pare d'une certaine légèreté, de beaucoup de douceur et d'aucune rancœur. Parmi les nouvelles qui mettent en scène les pères, il y en a deux particulièrement réussies : Dans Il faut aller au lit de bonne heure, un père divorcé laisse ses enfants transformer les murs de l'appartement en toile de peinture géante. Et puis les enfants grandissent, la vie continue et il faut un jour penser à déménager. L'autre texte, intitulé Unplugged, est une somptueuse déclaration d'amour paternel :

S'il tombe malade, je le soigne. S'il se trompe, je le corrige. Souvent, je lui demande plus qu'il ne peut me donner et, la plupart du temps, il exige de moi plus que je ne peux lui offrir. Il parle pour que je me taise et moi, je ne me reconnais que quand je m'exprime à travers lui. Pour qu'il grandisse, je dois rapetisser. Pour qu'il mûrisse, je dois me flétrir. Nous dépendons l'un de l'autre.

Au-delà de ce motif central, Sergi Pàmies nous offre quelques escapades amoureuses ou surréalistes. Il y a ces histoires de couples, parfois nostalgiques (Tu aurais dû insister ou La femme de ma vie), parfois doucement surréalistes à l'image d'Une année de chien ou de Ce que nous n'avons pas mangé. Et puis il y a ces textes, échappés de nulle part, qui jouent avec la réalité et la vraisemblance : Volontaires, nous parle de cette fois qui voulait pas être comme les autres. L'homme de Survie, pour trouver des réponses, entame un voyage à l’intérieur de son corps, tandis que dans Ataraxie, il est question d'opération chirurgicale pour se débarrasser de la nostalgie et de l'espoir. Enfin Benzodiazépine, la nouvelle qui ouvre le recueil et dont je vous livre un extrait à la fin du billet, s'amuse à mettre en scène un homme qui se rencontre lui-même.

Si textes sont pour la plupart très courts (parfois deux pages, rarement plus de dix), l'écriture de Sergi Pàmies est d'une grande richesse, et le lecteur se laisse facilement emporter dans ces divagations poétiques. Une très jolie découverte de cette rentrée littéraire.

Laurence

Extrait de Benzodiazépine:

J'ai rendez-vous avec moi-même dans deux heures. Je ne me connais pas personnellement, mais nous avons beaucoup chatté sur internet et nous nous sommes parlé un fois au téléphone, pour nous souhaiter une bonne année 2008. Je n'ai pas aimé ma voix : un peu nasale, avec une certaine prétention d'animateur de radio nocturne. Je suis curieux de savoir si nous serons capables d'avoir face à face les longues conversations que nous tenons à l'aube.

La bicyclette statique
La bicyclette statique de Sergi Pamies - Éditions Jacqueline Chambon - 107 pages
Traduit du catalan par Edmond Raillard