Gaston de Lévis a été un témoin plus que privilégié des temps de la révolution française. Ce corpus de 236 lettres et 8 chapitres du journal de Mr de Lévis est extraordinaire. C'est un vrai reportage au jour le jour aux toutes premières loges des événements les plus importants de l'Histoire de notre pays. Se plonger dans ces lettres c'est s'embarquer pour un passionnant voyage au temps de la Révolution française, de la déclaration des droits de l'homme, de la condamnation du roi ou bien de la bataille de Valmy… etc.

Cette correspondance est surtout un ensemble de textes rédigés par un humaniste, sensible, doué d'une grande intelligence, très cultivé, doté d'un sens de l'analyse poussé. De plus et malgré leur notable différence d'âge, Gaston de Lévis est, comme il l'avoue simplement « très réellement amoureux » de Pauline. Il lui écrit quand ils sont séparés même pour peu de temps, soit pour un voyage d'exploration de la Prusse jusqu'à la Russie ou bien alors qu'il doit répondre à ses obligations auprès de la famille royale ou de Monsieur, frère du roi. L'écriture est pour lui son antidote contre la solitude. Il l'informe au jour le jour de son quotidien comme des grands événements auxquels il assiste. La distance et la durée de ses absences influent bien évidemment sur le contenu des courriers. Parfois, le manque de l'autre occasionne l'apparition du tu, très intime, rare à cette époque et à ce niveau de la société.

Tous les deux, elle au fur et à mesure qu'elle grandit, prend de l'assurance, ont un caractère fort, un esprit bien ouvert, curieux de tout. Ils sont tous deux une très bonne éducation. Pauline est loin d'être une gourde de salon. il n'a donc rien à lui expliquer en détails. Ils sont également sensibles, jaloux de tout et tous ceux ou celles qui pourraient porter atteinte à leur amitié/amour. Les retards de la poste à relais ou des porteurs n'aident pas à guérir de ce fléau. Cela occasionne des pages de vrai/faux courroux, que l'on se pardonne dans la lettre suivante.
S'il est tout amour et tendresse pour sa Pauline, il sait ordonner et user de son autorité d'époux, quand les choses deviennent dangereuses. Le 14 et 15 juillet 1789, elle doit impérativement le rejoindre à Versailles où la situation est jugée plus calme qu'à la capitale qui s'échauffe par trop.

Dans les lettres de Gaston, puisque l'on ne dispose pas en miroir de celles de Pauline, il y a bien quelques traits d'humour. Gaston, en homme doué pour l'écriture - le 12 juillet 1789, il a tout de même rédigé à sa façon une déclaration pour le Roi -, sait très bien dresser les portraits trempés dans un humour décapant. Il sait prendre la mesure des hommes. C'est un grand atout en ces temps troublés et si vites changeants.

Lucide, intelligent, il possède un sens de l'analyse particulièrement poussé. Dans les premiers, il pressent le tournant sanglant que va prendre cette révolution. Politiquement, il est au centre. Il est du « parti de la paix pour son pays », attaché à la famille royale. Il campe toujours droit dans ses bottes s'agissant de son honneur, son souci pour son pays. Il aime la liberté et déteste le despotisme. Mais surtout, il veillera inlassablement à la sécurité et au bien-être de sa famille. Cela n'évitera pas la condamnation à la guillotine de quelques membres de sa famille et amis proches mais il aura toujours agi au mieux en fonction des circonstances. Il se résoudra à l'exil en Angleterre, pays qu'il admire et ne voudra s'occuper que de sa femme et de ses enfants, d'un petit commerce de produits français pour subvenir à leurs besoins, sans oublier s'attabler à quelques travaux d'écriture.

Voila en quelques lignes le portrait d'un homme comme il en existe peu, de ceux qu'on l'on aimerait croiser un jour (Soupirs). Sensible, attentionné, intelligent, cultivé, plein d'humour sur soi et les autres, ce Gaston de Lévis ne devrait pas trop vous déplaire. Laissez vous charmer à votre tour en lisant sa captivante correspondance. Ne prenez pas peur devant le pavé de ces lettres, fort bien présenté qui plus est, vous les dévorerez juste le temps d'une lettre à la poste, tant la vie de cet homme est passionnante, tant son talent à nous la conter est exceptionnel.
Vous en direz des nouvelles… par courrier postal évidemment.

Dédale

Extrait :

Chinon, le 23 août [1787]
Je ne suis pas paresseux comme toi, ma petite, je t'ai écrit hier, je t'écris aujourd'hui, mais c'est bien différent. Hier, c'était pour te gronder, aujourd'hui, c'est pour te dire des douceurs et de rendre un compte exact de ma conduite. L'on m'a tant reproché ma sauvagerie qu'il a fallu de gré ou de force aller chez un ancien officier de carabiniers retiré à un quart de lieu de la ville. Sa nièce est la beauté de Chinon, mais on me l'avait tant vantée que je ne l'ai trouvée que passable. Cela a de jolis yeux et un joli tour de visage, mais un teint brouillé, les os des joues beaucoup trop élevés et puis son grand défaut, c'est qu'elle ne te ressemble pas du tout. Il y a un officier qui lui fait une cour assidue et qui, dit-on, veut l'épouser. C'est lui qui m'a présenté, en vérité, je suis bien dangereux. L'on m'a mené ensuite chez la marquise, c'est une jeune femme qui peut avoir entre vingt ans et 70. Elle serait beaucoup mieux si sa tête ne branlait pas autant, mais ce n'est pas de sa faute. Elle m'a toujours appelé monsieur le comte de Béthune, comme ce n'était pas le vicomte, je ne me suis pas fâché. Au reste, elle n'a de sa vie appelé personne que par son titre. Jugez si j'avais été titré, quelle joie de m'appeler monsieur le duc. Véritablement, cela aurait été inquiétant pour toi, car la marquise, outre ses charmes personnels, a 60 bonnes mille livres de rentes. Mais je ne suis pas titré, aussi mon succès a-t-il été médiocre. Il y avait chez elle trois ou quatre figures femelles les plus grotesques du monde et j'ai bien fait rire un de mes camarades qui était à côté de moi en lui faisant observer la grande ressemblance qu'il y avait entre les deux plus jolies et deux personnages de la tapisserie. Ce camarade avec lequel je loge a trente ans, est plein de raison et d'esprit. Et d'ailleurs, il me rend bien heureux. Imaginez-vous qu'il a plus d'amour-propre que moi, il est auteur, fait de jolis vers, ne les montre qu'à moi qui suis déjà son ami et les croit les meilleurs du monde et me demande de sang-froid : croyez-vous de bonne foi qu'on puisse faire mieux ? Avec cela, il n'a point de prétentions, aussi est-il aimable. Nous passons une grande partie de la journée ensemble et nous avons souvent des entretiens par la fenêtre où il entre de la philosophie et de la gaieté et qui divertissent souvent mon postillon. C'est bien pis quand madame du Sol s'en mêle. Madame du Sol est notre hôtesse, c'est une bonne femme qui a plus de 60 ans et n'a d'autres amusements que la conversation, car la malheureuse est aveugle. Cela ne l'empêche pas d'être gaie et de nous donner en riant de bons conseils, mais nous n'en avons pas besoin, monsieur de Murat et moi, car nous avons chacun plus de 50 ans et j'ai besoin d'être dans tes bras pour ne plus m'en retrouver que 23. Nous ne parlons que de La Bruière, Montagne, Charron, quelque fois une légère digression sur la métaphysique de l'amour et tu est toujours le type.
Mais si je vis comme un sage, je t'aime toujours comme un fou. Je te baise, toi et mon petit chou.

Écrire la révolution
Écrire la révolution, 1784-1795 : Lettres à Pauline de Gaston de Lévis - Éditions La Louve - 550 pages