Sire Eon est devenu Dame Eona, l'Oeil du Dragon Miroir. Le seul dragon femelle du domaine céleste. Son nouveau pouvoir représente le dernier espoir de la résistance pour contrer les plans de Sethon et surtout garder l'équilibre dans le pays, maintenant que les dix Yeux du Dragons sont morts, assassinés par Ido, l'Oeil du Dragon Rat.
Malheureusement, Eona ne connaît rien à son pouvoir et il lui faut de l'aide pour arriver à le maîtriser. Le dernier espoir passe donc par la libération du traître Ido, emprisonné dans les geôles du Palais Impérial.
A ces questions purement pratiques viennent s'ajouter des tourments intérieurs terribles. Partagée entre l'amour, le devoir et la conscience aiguë de la justice qui l'animé, Eona arrivera-t-elle a faire les bons choix, quitte à sacrifier ce qui lui est le plus cher ?

Ce second volume est la suite et fin de la série entamée avec Eon et le Douzième Dragon.

Dans ce tome relativement dense (plus de 600 pages), le lecteur poursuit les aventures d'Eona et pénètre avec elle au sein de la résistance qui s'organise pour contrer le pouvoir de Sethon et replacer Kygo, l'héritier légitime, sur le trône. Les intrigues et les luttes de pouvoir sont donc nombreuses et notre héroïne aura fort à faire pour s'y retrouver.
Son caractère s'affirme et devient plus marqué que dans le premier opus. Un peu trop, peut-être ? Toujours est-il que certains de ses choix sont peu évidents et qu'elle fait montre d'une certaine cécité selon les problèmes à résoudre. Ce qui est tout à l'honneur de l'auteur qui nous donne un personnage principal de premier plan, avec ses doutes et ses regrets, mais aussi des espoirs et des attentes à combler. Eona prend toute la dimension de sa lutte et de sa quête, ainsi que des énormes sacrifices qu'elle devra consentir pour les mener à bien.

A l'inverse, Kygo, autre personnage principal, héritier déchu de l'Empire, possède un don inné pour se rendre désagréable. Entre la barrière du rang social, le devoir dû au pays et les circonstances malheureuses, il jongle avec les mauvaises excuses pour pallier un comportement qui oscille entre la muflerie primaire et le machisme déplacé. Certes, il est empereur de droit et doit faire respecter une certaine étiquette. Certes, malgré le chaos ambiant, une certaine rectitude dans les rituels et la conformité aux usages de la cour aide à garder des repères et permet à chacun de se situer. Cependant, la plupart des rencontres entre Kygo et Eona sont des hymnes au secret et aux non-dits, à tel point que la situation en devient très embarrassante pour lecteur y compris, qui a envie de les prendre chacun par le revers du kimono pour les secouer et leur remettre de la suite dans les idées.
Ceci dit, il s'agit certainement d'un ressenti très occidental. Car, n'oublions pas, toute l'histoire se passe dans un orient imaginaire, mais avec des codes et une certaine tournure d'esprit propre à cette région et à cette époque...

En dehors des deux personnages sus-cités, Alison Goodman nous réserve toute une batterie de personnages secondaires qui ont chacun un rôle primordial dans le déroulement des événements mais qui bénéficient en plus d'un traitement particulier de sa part. Que l'on parle de Dela (le Contraire), de Ryko ou d'Ido, voire même de Vida, la dame de compagnie, tous ont un traitement fouillé, et pour ceux que l'on voit dès le premier volume, leur personnage évolue encore, preuve s'il en est du travail et de l'attention de l'auteur porté à ses personnages. La psychologie des uns et des autres est minutieusement décrite et tous les actes trouvent une motivation dans leur propre volonté d'aider ou de contrer les actions d'Eona.

La plume est toujours aussi agréable à lire. Nous ne sommes plus à la cour, donc toutes les descriptions protocolaires et d'étiquettes ont disparues pour laisser place au récit de la vie d'un QG impérial de campagne. Tout est dépeint avec force détails et la vie du camp est tellement réaliste que l'on pourrait jurer avoir vu un film tant l'ambiance s'imprègne durant la lecture.
L'objet-livre est tout aussi beau que le premier (en tout cas pour la version jeunesse) avec une splendide couverture relief tout irisée. Un petite interrogation cependant de ma part concernant le sous-titre : pourquoi avoir tenu absolument à rajouter "Et le Collier des Dieux" dans la traduction française, alors qu'en VO le titre est tout simplement "Eona" ? Il y a certainement une volonté marketing quelque part, mais j'avoue qu'elle m'échappe.

Pour tous ceux qui auraient lu le premier volume à sa sortie, il y a un peu plus d'un an, je ne saurais trop conseiller de le relire avec de passer à celui-ci. En effet, il y a tellement de personnages secondaires et de références à des situations du premier volume que ne pas se le remettre en tête avant serait une erreur bien dommage (et il y a du vécu...) car il est d'autant plus difficile de raccrocher les wagons et de re-rentrer dans l'histoire.

En bref, c'est une superbe conclusion pour un cycle court mais qui a su créer la surprise et un vrai enthousiasme de la part de ses lecteurs. Des personnages très fouillés, une histoire rondement menée et crédible de bout en bout, avec quelques longueurs mais on peut passer outre, complots, coups d'état, trahison, amour, rébellion, secrets millénaires. Tout y est condensé. De plus, c'est un magnifique objet qui prend place sans honte dans une belle bibliothèque. A savourer, donc.


Du même auteur : Éon le douzième dragon

Cœur de chene

Extrait :

Les dragons se lamentaient.
Les yeux fixés sur la surface grise et agitée de la mer, je me concentrai sur la rumeur assourdie en moi. Depuis trois jours que nous avions fui le palais envahi, je me tenais dès l'aube sur ce même rocher, à l'écoute de la mélopée funèbre des dix dragons endeuillés. D'ordinaire, le chant doré de mon propre dragon Miroir couvrait ces faibles gémissements. Ce matin, ils étaient plus forts. Plus violents.
Peut-être les dix animaux-esprits avaient-ils surmonté leur affliction et repris leur place dans le cercle des Douze. Prenant une profonde inspiration, je m'abandonnai à la sensation troublante de la vision intérieure. La mer devant moi se fondit en un flot argenté tandis que mon attention se détachait du domaine terrestre pour entrer dans la dimension parallèle, vibrante de couleurs, du monde énergétique. Au-dessus de moi, seuls deux des douze dragons occupaient leur position dans le ciel. L'énorme masse bleue du dragon Rat de sire Ido se tenait au nord-nord-ouest, le corps tordu par la souffrance, et mon propre dragon rouge se dressait à l'est. Le dragon Miroir. La reine. Les dix autres dragons n'étaient pas encore revenus du lieu inconnu où les créatures célestes se réfugiaient pour pleurer.

Éona   
Éona et le collier des dieux
d'Alison Goodman - Éditions Gallimard jeunesse - 656 pages
Traduit de l'Anglais par Philippe Giraudon