La panique est rarement bonne conseillère. Persuadé qu'il sera accusé du meurtre, Adam ne peut se résoudre à appeler la police et préfère se réfugier dans la clandestinité. Il devient donc l'un des nombreux sans-abri de la ville de Londres et paradoxalement, ne cherche pas vraiment de solution pour sortir de cette situation. C'est peut-être ce qui paraît le plus étrange et le plus fascinant dans toute la première partie du roman : Adam semble avoir définitivement abandonné l'idée de reprendre sa réelle identité et toute son énergie se déploie non pas dans la preuve de son innocence mais dans les actes de survie du quotidien. En fait, rien que de plus logique, mais l'on tellement habitué dans les romans à suspens à ce que le « héros » soit « héroïque » justement, que cette dose de réalisme est une agréable surprise. Nous découvrons donc, au côté d'Adam, la Londres des laissés-pour-compte et des quartiers difficiles. C'est l'occasion pour l'auteur de dresser une galerie de personnages, tantôt attendrissants, tantôt antipathiques. Il y a Mhouse et son fils Ly-on, deux éclopés de la vie qui malgré les coups continuent de croire en l'être humain ; Monseigneur Yemi et son église John Christ ; Mister Quality et Bozzy, les deux caïds de la cité ; et puis Vladimir, Turpin, Gale et tous les autres qui n'ont pour toit que la voûte céleste.

Orages ordinaires est donc le récit d'une chute. Quand les hommes perdent leur identité et se retrouvent anonymes parmi les anonymes. William Boyd raconte parfaitement cette spirale infernale et cette société de consommation qui écrase tout sur son passage. De ce point de vue, l'auteur s'inscrit dans la plus grande tradition du roman social anglais et l'on ne peut s'empêcher de temps à autres à faire des parallèles avec certains romans de Dickens.

Mais Boyd n'en oublie pas pour autant la construction de son intrigue et si Adam doit se cacher c'est bien parce qu'il se retrouve malgré lui au cœur d'un scandale pharmaceutique qui menace la vie de plusieurs milliers de personnes. Avant même qu'Adam ne comprenne de quoi il s'agit, William Boyd, par l'intermédiaire de narrations alternées, distille au lecteur un certain nombre d'indices. Nous faisons ainsi la connaissance de Ingram Fryser – PDG de la société pharmaceutique Calenture-Deutz –, de  Rita Nashe – jeune fliquette à la poitrine généreuse et au père encombrant – et de Jonjo Case, ancien militaire et tueur à gage lancé sur les traces d'Adam. Si le quotidien d'Adam semble donc au début très éloigné de l'intrigue, William Boyd entretient savamment le suspense et la tension, sans en oublier pour autant une écriture pleine d'ironie et d'humour.

Enfin, il faut souligner la critique virulente des entreprises de pharmacologie qui, à force de courir après le profit, en oublient leur première mission. Orages ordinaires rappellera malheureusement quelques autres scandales, bien réels ceux-là, aux dénouements malheureusement plus tragiques que celui imaginé par William Boyd.

Laurence

Extrait :

Si vous ne téléphoniez pas, ne régliez aucune facture, n'aviez pas d'adresse, ne votiez jamais, n'utilisiez pas de carte de crédit ni ne tiriez d'argent à une machine, ne tombiez jamais malade ni ne demandiez l'aide de l'État, alors vous passiez au-dessous du radar de compétence du monde moderne. Vous deveniez invisible, ou du moins transparent, votre anonymat si bien assuré que vous pouviez vous déplacer dans la ville – sans confort, certes, plein d'envie, oui, prudemment, bien sûr – tel un fantôme urbain. La ville était remplie de gens comme lui, reconnaissait Adam. Il les voyait blottis dans les embrasures de porte ou écroulés dans les parcs, mendiant à la sortie des boutiques, assis, effondrés et muets, sur des bancs. Il avait lu quelque part que, chaque semaine en Angleterre, six cents personnes environ disparaissaient – presque cent par jour – , qu'il existait une population de plus de deux cent mille disparus dans ce pays, de quoi peupler une ville de bonne taille. Cette population perdue, évanouie de Grande-Bretagne, venait de gagner un nouveau membre.

orages ordinaires
Orages ordinaires de William Boyd - Éditions Points - 498 pages
Traduit de l'anglais par Christiane Besse