De son bagne, alors qu'au loin résonnent les bruits des troupes de Robespierre voulant reprendre la ville aux Anglais et aux Espagnols, Simon Garcin se remémore l'histoire qui l'a amené entre ces quatre murs. Avec sa mère et son père, capitaine caravaneur, ils habitaient une bâtisse sur la côte. Tout s'est noué lorsque le père a accepté une dernière mission payée par Louis d'Astacan, à bord de l'Esperanza. Bateau qui ne rentrera pas au port, et qui marque le début du cauchemar pour la famille.
Car les événements se succèdent alors à vive allure : la descente d'un groupe de cavaliers violents et violeurs dans la propriété, le retour de ces cavaliers pour prendre en main la madrague, pêcherie de thon, installée sur la côte, puis l'incendie de la propriété. C'est pour Simon Garcin le début de la fuite, dans l'arrière-pays, pour échapper aux accusations portées contre lui.
Dans ce premier roman, Michel Goujon emmène le lecteur dans une histoire personnelle et familiale détruite par les mensonges et les intérêts d'un industriel peu scrupuleux. Il y décrit de manière très chaleureuse ce pays tropézien, qui est celui dans lequel il a vécu. Il aborde aussi avec beaucoup de chair le monde de la mer et de la pêche au thon, activité qui est à l'origine de la soif de pouvoir de d'Astacan et de de la chute de Garcin. Dans de nombreux passages relatant le découverte des sites de pêche par Simon, on imagine aisément les poissons frétiller à la surface de l'eau, remontés par la madrague, le nom du filet utilisé.
Pas de grandes fioritures dans la style, mais une construction alternée entre passage au bagne et retour sur la tragédie familiale, avec en toile de fonds les trafics d'esclaves entre Afrique du Nord et Byzance et tentative de résistance des toulonnais face à la Terreur. Une plongée agréable avec le matricule 12500 dans cette histoire ensoleillée et poissonneuse.
Extrait :
Ma mère a du mal à accepter la mort de mon père. Au bout de quelques jours, elle se résout à porter le deuil. elle revêt alors, pour cacher son corps brusquement vieilli, une longue robe noire qu'elle ne quittera plus.
Dans ce nouveau monde sans lui, elle est torturée par une insondable angoisse. Dès qu'un petit imprévu survient, son regard devient celui d'une bête traquée. Bientôt, elle prend l'habitude de laisser les volets clos une bonne partie de la journée. Un matin, elle renonce même à se lever. Quand je vais la trouver dans sa chambre, elle dit d'une toute petite voix : "Laisse-moi, Simon. Aujourd'hui, je suis trop faible. J'ai besoin de me reposer dans le noir."
Elle aussi est en train de faire naufrage.
Pendant cette période, nous ne connaissons pas un seul jour heureux. Nous vivons dans des pièces sombres qui sentent le renfermé. Les meubles se recouvrent peu à peu de poussière.
La madrague de Michel Goujon - Éditions Liana Lévi - 192 pages
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