Assommons les pauvres est le deuxième livre de Shumona Sinha. Indienne, elle et installée en France depuis une dizaine d'années. Dans ce roman, elle met en scène son expérience d'interprète auprès de requérants d'asile de langue bengalie.
Après avoir assommé un étranger (dans des circonstances qui
s'éclairciront), la narratrice cogite dans sa cellule entre deux
interrogatoires avec Monsieur K. Mis dans le contexte de ce retour forcé du
personnage sur son passé, le récit s'opère tout naturellement, quoique la
chronologie ne soit pas linéaire. Le texte s'organise en courts chapitres
portant des titres plus mystérieux les uns que les autres (L'homme qui
avait chez lui un goyavier
, La géométrie impossible
, etc.).
Que le français ne soit pas la langue maternelle de l'auteure ne l'empêche absolument pas de produire un texte très beau stylisquement parlant. Les phrases sont plutôt courtes, mais contiennent souvent des combinaisons inattendues, évocatrices, percutantes.
La narratrice observe certes des pratiques discutables de toutes parts, mais elle évite de juger les protagonistes. Si elle se montre parfois critique, ce n'est que d'elle-même. Fait-elle ce métier pour se donner bonne conscience ? Ne partage-t-elle qu'une langue avec les réfugiés ?
C'est sans doute le fait du climat, mais comme chez Ananda Devi, on trouve dans ce texte quelques références à la boue, qui apparaît ici comme une force destructrice, après le passage de laquelle on ne peut que faire table rase, couper les ponts, pour un nouveau départ ?
(Les avis des autres membres du jury des Biblioblogueurs en suivant ce lien et ceux du jury des lecteurs dans les commentaires du billet)
Extrait :
Je sais combien le sentiment de lassitude, d'inutilité nous accablait ces jours-là. Toujours le même jeu qui recommençait. Les requérants, les officiers et moi, nous étions tous assommés, cerveau engourdi et bouche fade. Je me vois lever mes yeux rouges au-dessus des papiers miteux qui seront grignotés par les rats, couverts de larves, engloutis par la terre et la boue.
Assommons les pauvres de Shumona Sinha - Éditions de l'Olivier -
155 pages.
Commentaires
mardi 25 octobre 2011 à 11h46
J'hésite à le lire. Ce roman vaut à son auteur d'avoir perdu le droit de travailleur comme interprête auprès des demandeurs d'asile.
mardi 25 octobre 2011 à 23h02
Effectivement, mais le déshonneur me semble devoir retomber davantage sur l'Ofpra que sur Shumona Sinha et son *roman* (qui cela dit en passant est dans la dernière liste du Renaudot...).
jeudi 27 octobre 2011 à 21h30
Oui moi aussi j'ai lu l'article dans "le Monde des Livres" du 16 septembre, et moi, ontrairement à Anna, cet artcile m'a donné envie de lire Shumona Sinha. Cette femme "congédiée pour avoir dépassé les limites" me plaît tout particulièrement. Rappelons que l'auteur a récusée le terme d'"autofiction" que l'OFPRA a donné à "Assomons les pauvres" : ce n'est pas un reportage sur l'organisme qu'il l'a employée. Il y a là une identification entre l'auteure et la femme, or les biblioblogueurs savent bien qu'il faut les distinguer. Les jurys Renaudot et Médicis ont très bien fait de prendre le contre-pied de l'OFPRA et de sélectionner Shumona Sinha pour leurs prix de novembre.
lundi 23 avril 2012 à 23h33
envie de le lire tout simplement
mercredi 20 juin 2012 à 11h24
C'était mon coup de coeur de la sélection, donc classé premier. J'ai beaucoup aimé la vigueur, l'insolence de ce récit qui est bien davantage qu'un témoignage sur un sujet brûlant, l'accueil en France des réfugiés.Dans un style très imagé et percutant, l'auteure met à nu nos contradictions et celles de la narratrice elle- même. Pour moi, une auteure à suivre.
mercredi 20 juin 2012 à 12h11
Le désarroi des requérants d’asile, bouddhistes, musulmans, hindous... Mais qui sont-ils ces hommes passés de la colonisation étrangère au sectarisme communautaire pour finir au grand tribunal européen à fabuler et à inventer des histoires de réfugiés politiques, pour être acceptés dans un pays d’accueil afin de seulement survivre.
« Nous réagissons par mauvaise conscience. D’une époque à l’autre, d’un coin du monde à l’autre, nous essayons d’effacer les injustices, les crimes d’autrefois. La géométrie fascinante du temps et de l’espace nous devance toujours et nous commettons de nouvelles erreurs. »
« La langue est rusée, le corps sincère. Ce que les phrases fabulent, le corps le dément ».
Etrange récit ponctué de traits d’humour bien vite gommés par la violence, le désarroi, la tristesse ; est-ce l’histoire de ces égarés en terre étrangère qui nous est racontée ici, ou l’histoire de la compassion, et de la honte presque inavouée, de la narratrice ?
mercredi 20 juin 2012 à 13h48
Je partage l'avis de Laurence : j'ai été gênée par l'attitude (qui confine parfois à une forme de mépris) de la narratrice vis à vis des migrants. Je ne suis pas pour la clarté à tout prix, mais j'ai aussi trouvé le propos assez peu lisible... volonté de l'auteur ? Certaines pages laissent un arrière gout amer. Pourtant j'étais emballée par le titre (assommons les pauvres, quelle trouvaille !;-)) qui laissait présager des pointes d'ironie. Une déception donc.
mercredi 20 juin 2012 à 18h06
Pour ma part, je ne me suis pas appesantie sur l'aspect idéologique du texte ou sur son message. Après, je n'y ai pas vu de condescendance, plus la langue honnête d'une femme sans fausse compassion... Effectivement, c'est moins politiquement correct. Après, j'y ai entendu quelque chose qui m'est propre, ai fait une interprétation ou deux et me suis laissée surprendre per le style. Qui d'ailleurs m'a vraiment déroutée, mais comme vous le verez si vous lisez la chronique que j'ai écrite à son sujet, ici, j'ai réussi à dépasser ce stade. Pour moi, ça reste une agréable surprise !!!