Mathias escorte le corps de son ami
nous dit la quatrième de
couverture. Ces mots sont presque trop forts tant la présence de l'ami est
évanescente. Elle est davantage celle d'un fantôme que celle d'un corps
même inanimé coincé entre quatre planches. Si le voyageur avait été seul,
il n'aurait pas raconté une histoire différente. Lors de la lecture,
peut-être influencé par Halte
à Yalta, je me suis ainsi imaginé que le narrateur faisait un
voyage absurde vers l'Est et se remémorait le passé en s'adressant au
fantôme de Vladimir, plutôt qu'à un cercueil.
Si le livre contient deux messages de Jeanne, cette adaptation d'une fiction radiophonique pour deux comédiens est avant tout le monologue de Mathias (qui porte le même prénom que l'auteur). Au fur et à mesure que les escales ferroviaires se succèdent, il revient sur le départ de Jeanne pour Moscou, comment ils ont été deux, trois, puis à nouveau deux, mais pas les mêmes. Le texte de Mathias est un étonnant alliage entre des tournures recherchées et un langage familier, un texte très écrit, mais également très oral. La plupart des phrases sont très longues. Souvent quelque peu décousues et attentant parfois la syntaxe, elles peuvent être aussi bien narratives que descriptives, les deux à la fois, les différents morceaux de phrase étant séparés par des virgules, chacun complétant ou contredisant le précédent, l'alcool aidant.
À vrai dire, ce qui fait tout l'intérêt de ce livre et qui correspond à la deuxième partie du titre, ce sont les écrivains, personnages de la littérature russe et faits historiques auxquels la narration fait écho lors de chacune des étapes du train : Moscou, Nijni Novgorod, Perm, Saint-Pétersbourg (étape géographiquement fantaisiste !), Ekaterinenbourg, Novossibirsk.
Du même auteur : Rue des Voleurs, Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants.
Extrait :
La guerre, partout.
Bien caché dans ce compartiment, on pourrait avoir l'impression d'y échapper. Tu te souviens Vlado quand Jeanne nous a présentés je t'appelais prince André, parce que tu me rappelais Bolkonski avec tes airs à la fois nobles et grafiles, sûr de toi et pourtant vacillant dans la violence et la drogue comme un saule, nous avons eu le temps de la Paix et celui de la Guerre, notre première bataille, Austerlitz, puis le repos avant que Moscou ne brûle devant nous, avant de brûler dans l'alcool et les stupéfiants comme ces minuscules cierges qu'il y a dans les églises russes, et l'épatante présence de Jeanne, Jeanne que nous avons écartée pour nos jeux virils, avant de l'écarteler entre nous, avant de nous battre en duel en bons nobles russes et de disparaître.
L'Alcool et la Nostalgie de Mathias Énard
- Inculte Fiction - 87 pages.
Commentaires
lundi 31 octobre 2011 à 21h43
Moi qui ai envie de renouer avec la littérature russe ou du moins qui en est le centre, je ne sais pas si ce livre me tente vraiment... J'ai peur de m'ennuyer.
mardi 1 novembre 2011 à 15h33
Il se trouve que j'ai eu l'occasion de lire "L'alcool et la Nostalgie" ... quelques semaines avant l'énigme. Moi aussi j'ai pensé à "Halte à Yalta" - mon ouvrage préféré de la sélection du Prix Biblioblog 2011 - même si celui-ci relève plus d'un "Jules et Jim" russe. Allers et retours entre la France et la Russie, entre le présent - escorter le cercueil de son ami - et le passé - ces deux hommes amoureux de la même femme, l'écriture nous berce comme dans un "Orient Express" où s'étirent de longues journées en train. Mais plus encore c'est un autre ouvrage que cet "Alcool et nostalgie" m'a évoqué : je pense à Michèle Lesbre et à son "canapé rouge" : si l'écriture de Mathias Enard vous déconcerte - pour ma part je trouvez que "Zone" est son livre le plus abouti - rendez-vous chez votre libraire pour y découvrir Michèle Lesbres, vous ne serez pas déçu.