Lors d'une période de crise familiale (dépression d'un fils), elle part s'isoler dans une chambre d'hôtel à quelques minutes de distance de sa maison. Les paroles de ces hommes qui lui parlent (son fils, son mari, des écrivains vivants ou morts, etc.) la font réfléchir et progresser dans ce récit résolument introspectif.
L'auteure s'interroge sur elle et son double : la femme et l'écrivain.
Si elle s'est toujours réfugiée dans les mots et l'écriture, ceux-ci
semblent avoir constitué pour elle comme un déguisement qui la fait devenir
extérieurement une autre A.D.N.
(initiales d'Ananda Devi Nirsimloo,
le nom sous lequel elle a publié Solstices). L'auteure pointe sans
complaisance les contradictions entre ce qu'elle fait revendiquer à ses
personnages (souvent féminins) et son propre comportement.
Ce récit dévoile bien évidemment quelques éléments de la vie de l'auteure et de ses proches. Se demandant si elle a raison de les embarquer ainsi dans ce projet d'écriture, l'auteure met en question cet aspect de son propre livre. En rencontrant par le biais de ces confessions ou de ce dévoilement la personne qui se cache derrière l'écrivain, le lecteur se trouve dans une situation inattendue qui pourrait dériver vers quelque malaise. Fort heureusement, en refermant le livre, le lecteur ne pourra faire le grief d'aucune indécence à l'auteure ni d'aucun voyeurisme à soi-même.
Parmi les intérêts multiples du livre, le lecteur pourra trouver quelques indications sur certains de ses personnages : de quelle image fugitive sont-ils nés ? tel Mallacre dans son premier roman Rue la Poudrière. Un autre, et non des moindres, réside dans les références à de nombreux auteurs, plus ou moins longuement cités. Elle convoque ainsi Virginia Woolf, Céline, Flaubert, Toni Morrison, Voltaire, Albert Cohen et bien d'autres. Eux aussi sont des hommes qui parlent à l'auteure. Si ces prédécesseurs la font réfléchir sur son propre travail, ils peuvent aussi intervenir à l'improviste. Il est ainsi délicieux de voir par exemple une discussion sur un futile sari jaune dévier vers un poème de Tagore...
Ce livre est quelque peu touffu, à l'évidence moins construit que les romans de l'auteure. Si on y trouve néanmoins toujours une certaine exigence dans l'écriture, ce récit est probablement le livre de l'auteure qui se lise le plus facilement. Si avoir lu ses autres œuvres est parfois utile, je pense que ce n'est pas forcément nécessaire pour apprécier ce récit.
Du même auteur : voir la bibliographie d'Ananda Devi.
Extrait :
Notre rite de passage, notre examen de naissance, notre avènement d'humain, c'est tout cela, le don de jongler avec les mots, on s'entraîne à devenir un funambule dès l'enfance, mais certains réussissent à dessiner dans l'air de merveilleux motifs avec leurs balles colorées qui volent et ne retombent pas et vont toucher d'un baiser de couleur d'autres visages levés vers elles, et d'autres les lancent avec la fureur de la désillusion contre le sol et le creusent, et font des trous de plus en plus grands pour leurs cercueils.
Les hommes qui me parlent d'Ananda Devi - Gallimard - 216 pages.
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