1915 en Lorraine. quatre jeunes allemands de la campagne bavaroise, amis depuis l'enfance : Otto, Simon, Heirich et Nathan. Tous âgés de 20 ans. A leur arrivée sur le front, ils comprennent vite vers quoi on les a envoyés. C'est ce que nous raconte de belle manière Lilyane Beauquel dans son tout premier roman : avant le silence des forêts.
Simon consigne dans ses carnets leur vie à tous les quatre. Celle d'avant, le temps de l'insouciance, des jeunes amours, l'ambiance collective au moment de leur incorporation, celle qu'ils découvrent dans les tranchées, la confrontation avec la mort, le danger, la première fois où tous seront obligés de tuer un homme, car ce sera l'autre ou soi-même.
Des chapitres courts ou bien de deux-trois pages sous des mots fragiles, ceux qui restent : boue, paysage, Otto, ventre, rire, balle, enfant, danse, carillon, femme, Oskar…
Toute la beauté de ce roman réside dans ces hommes jeunes, présentés par le biais de la poésie tendre de Simon, mais aussi dans le soin apporté à la langue. Une musique si particulière, presque trop raffinée, mais sans manières ni chichis, pour des mots de tranchées. Cette confrontation entre le beau et l'horrible laideur des boyaux boueux fait la qualité de ce roman.
Dans les carnets de Simon, c'est le soleil sans condoléances, la fatigue, cette bête sur les reins. Les rats, rois de cet univers. Le manque de la jeune fille de son cœur. La lutte avec les souvenirs des temps calmes et heureux, ceux qui font mal quand ils reviennent hanter les hommes : les fêtes de famille, un corps désiré, les semailles de bruits d'enfance, les grands-mères aux doux yeux.
Parfois aussi la tentation d'en finir enfin, sortir de cet enfer, ne pas résister plus longtemps à la balle ou l'obus qui mettra fin au supplice. « Bientôt nous serons bienheureux, sans plus de besoins, et nous aurons basculé de l'autre côté ».
Que dire de ce texte dont on sent le besoin de lire doucement pour bien savourer le talent de l'auteur à rendre la nostalgie, la souffrance profonde. C'est triste, c'est beau.
Le temps ne passe pas vite, l'eau n'est plus souvent claire, la forêt est à terre, le soleil fait encore son travail, ignorant du déni de sa belle clarté, cela semble si normal.
Ou bien
Nous ne levons même plus la tête, les grands mots sont comme nos noms, un jour personne ne les prononcera plus.
Les quatre amis restent accrochés à l'idée qu'être ensemble allait les dispenser de tous les heurs et malheurs. Simon écrit, cherche les traces de Rimbaud et Verlaine qu'il porte dans son cœur. Nathan est musicien, violoniste. Heinrich photographe et fort en math. Quant à Otto, c'est un ours inquiet, fils des plus pauvres, lunaire mais clown dans les tranchées pour ne pas sombrer, pour conforter ses camarades. Il s'est pris d'amour pour Oskar l'âne chargé du ravitaillement, mascotte du groupe. Les quatre sont de niveau social différents mais ce qui les distingue, les lie, c'est leur amitié si solide, si profonde qu'elle est jalousée.
Simon pense aussi "aux blessés, les gazés, ceux chanceux qui retournent chez eux, mais qui resteront muets sur ce qui ne peut être raconté."
Parfois la campagne oublie qu'elle est champs de bataille, une alouette grisolle, ses trilles les émerveille, comme pour une première fois.
On pourrait dire tant et tant d'autres choses sur cette histoire, sur ces "pauvres hommes bernés par des brigands qui portent galons".
À lire absolument
Dédale
(Les avis des autres membres du jury des Biblioblogueurs en suivant ce lien et ceux du jury des lecteurs dans les commentaires du billet)
Extrait :
Ville
Nous nous reposons dans des endroits que nous n'imaginions plus, moins bouleversés et retrouvant des couleurs. Autrefois y grandissaient des vergers et des vignobles ordonnés, des jardins de légumes, et les feuillages d'automne teignaient l'horizon de rouges splendides, les paysans comptaient leurs arbres et leurs plants de vigne sur des carnets maintenant douloureux à consulter. Un temps, nous disons que nous nous voyons rentrés chez nous, dans nos fermes où un mur attend d'être réparé. Nous sortons de nos uniformes et regardons notre image dans l'eau de la rivière avant d'y plonger nus pour demander qui nous sommes à notre reflet dispersé. Les hommes des villes changent de métier et ne s'enferment dans aucune maison de village, j'aurais aimé les côtoyer mais, comme toute choses rêvée, je laisse partir cette idée dans le ciel triste.
Nous exerçons nos muscles, dans des efforts sportif, des jeux pour rire, mais nous sommes noués et faibles, maladroits et cassés. Alors nous nous couchons sur l'herbe blonde. Des pommes tombent dans le soir stupéfait de notre présence. Très haut dans le ciel, un rapace surveille le départ des troupes.
Nous nous sentons parfois forts, rien ne cède dans l'espace que nous occupons. Partout où nous sommes, nous devons nous déplacer et nous garder des envies de fuite. Le front bouge peu et nous ne cherchons plus la bonne raison à ces ratés et ces mauvais plans, nous voulons juste que cela finisse.
Nathan
Nathan reste Nathan, on nous a joué cette farce de l'élever au-dessus de nous. On en disloque pas si facilement le temps qui nous a faits, non vraiment, rien ne disperse notre adolescence, elle n'oublie rien et ne se trahit pas.
Le sous-officier Nathan veut la prudence et s'applique à une logique de fortune sur la distribution des jours et leur programme sévère. Il adhère à la rigueur, y espérant une justice, perdant peu à peu l'élégance de soliste que les professeurs enviaient. Il garde l'espoir d'être un homme qui, à bien donner les ordres, nous préservera de la folie.
Otto et moi savons qu'à prendre notre ami par le bras se retrouve la simplicité, et que les bons mots ne se feront pas prier quand de mourir nous ferons mine d'accepter. C'est si bon de posséder cette amitié brouillonne, elle nous empêche d'être imbéciles en ces occasions si nombreuses que la guerre nous tend.
Officier
Le clic-clac du porte-cigarettes de l'officier nous réveille. Son teint a la blancheur des Vierges d'église, son front lui au-dessus de nous,n il fait sonner les ordres. Nous irons nous battre avec ses phrases accrochées à nos mollets. Il sait y faire.
L'officier se plaît à lui-même, cela nous méduse. Il a chez lui des hectares de forêt qui attendent son retour, de la vaisselle fine et des domestiques astiquant tous les étages de la maison pour lui rendre honneur. Le ciel sur sa tête a beaucoup de hauteur, nous l'envions, nous les bourriques remplies de suppositions sur notre vie d'après. Mais nous nous trompons de jalousie. Car, lui, jamais il ne rit comme nous rions quand Otto se cramponne, la tête à l'envers,à un arbre mathématiquement fait pour nous donner des pommes, et que tous nous chantons, l'attrapant au vol et le remerciant de faire le singe.
Avant le silence des forêts de Lilyane Beauquel - Éditions Gallimard - 295 pages
Commentaires
jeudi 17 novembre 2011 à 20h28
Merci Dédale pour ce très beau billet. Tu m'a vraiment donné envie de découvrir cette nouvelle plume.
jeudi 17 novembre 2011 à 20h46
De rien Laurence, il faut féliciter Lyliane Beauquel pour ce très beau roman qui raconte ce que cela a été sans misérabilisme, ces 4 là si touchants... et puis Oskar.
A parcourir ce billet, j'ai envie de le relire tant d'autres mots, images reviennent
mardi 17 avril 2012 à 21h51
ce livre est génial
lundi 23 avril 2012 à 10h04
J'adore ce livre , tout simplement ...
A découvrir d'urgence !!!
dimanche 17 juin 2012 à 15h50
Au début, j'ai été agacé par le style de l'auteure, que je trouvais chichiteux et manquant de limpidité, ... m'arrêtant cependant sur de superbes fulgurances. J'ai décidé de modifier mon rythme de lecture, et de lui donner du temps. N'hésitant pas à relire les passages délicats, je suis alors vraiment entré dans le texte, et j'avoue impudiquement avoir été souvent bouleversé entre l'horreur des faits et la poésie de la langue. En définitive, j'ai beaucoup aimé.
lundi 18 juin 2012 à 08h16
Et bien je suis exactement comme Yohan concernant son avis :);-) Mais je n'ai pas encore lu Laurent Gaudé, pour ma part !
lundi 18 juin 2012 à 09h27
malgré une superbe écriture ,peut-être même trop travaillée ,je suis restée sur le bord du chemin, sans pouvoir entrer dans le récit .Par contre ont ressurgi mes souvenirs . de lecture comme Les croix de bois de Dorgelès ou A l'ouest rien de nouveau de E M Remarque mais anciens mais ô combien vivants 40 ans après!
lundi 18 juin 2012 à 10h37
J' avais été de prime abord exaspérée par l'écriture incantatoire et quelques passages vraiment obscurs,mais en repensant à ce livre, en relisant mes notes,je me rends compte que je suis beaucoup plus touchée par le destin de ces jeunes hommes broyés par la guerre que par les émois de l'adolescente de "Premier été".Il y'a aussi du souffle et de la grandeur. Bien sûr Sylvaine, la référence à E.M.Remarque reste incontournable!
lundi 18 juin 2012 à 10h41
J'ai été touchée aussi par ce texte poétique et très bien écrit, mais je l'ai trouvé trop long. A la fin, j'étais un peu "saturée"
lundi 18 juin 2012 à 18h07
« Avant le silence des forêts » nous replonge dans cette horrible guerre, et ce livre c’est toute l’horreur de la folie des hommes « les actes des hommes sont plus cruels que l’honnête sauvagerie des bêtes ».
On apprécie le style de l’écrivain, cette façon originale de faire parler ses héros, également la poésie de l'écriture, mais tout ceci est trop pesant.
Ce livre m’a laissé une impression d’horrible tristesse.
mardi 19 juin 2012 à 17h27
J'aurais envie de commenter en deux temps, en reprenant deux textes, écrit à un mois d'intervalle. Mi-mai, voilà ce que j'en disais :
''Pour moi aussi, lecture très ardue !
Je me le suis expliqué justement par la finesse de perception et de description de l'auteur, sur un sujet aussi douloureux, que de simples humains dans une guerre. Le décalage entre l'humain et l'atroce. Je me suis sentie heurtée tout du long. Non par le style, mais par le sujet même. Je rends hommage à Lyliane Beauquel qui rend compte aussi précisément de l'indicible décalage, de l'inénarrable horreur.
Je l'ai lu avec le plus de distance possible pour ne pas me laisser happer dans des affres insondables. Je pense que si j'avais pu sauter à pieds joints dedans, j'aurais pleuré durant toute la lecture.
Euh...il fait partie des romans de la sélection que j'ai lu par devoir. Vous l'aurez compris.''
Et un mois après :
A la réflexion, quelques deux mois après avoir tout bouclé, c'est à Lilyane Beauquel que je donnerais la première place. Même si j'ai eu un mal fou à m'astreindre à la lecture, car je n'avais pas du tout envie que l'on me parle de guerre, et d'humains dans la guerre... Mais c'est son écriture la plus forte, la plus poignante, la plus dense ! Alors que je l'ai classée en avant-dernier ! Je n'ai toujours pas envie de lire cette façon aussi vraie, aussi interpellante de dire la guerre, mais pour ma part, c'est finalement elle, sur les 6 romans, que je primerais.
Pour conclure, je dirais qu'il ne m'a pas laissée indifférente !
mardi 19 juin 2012 à 21h35
Carole, ma démarche a été différente, pour arriver, je crois, au même point. Moyennant une approche raisonnée, un peu au forceps j'en conviens, je suis finalement entré dans ce texte, et j'en ai été bouleversé. Par la condition quotidienne de ces quatre garçons face à ce monument de bêtise que peut être une guerre, surtout celle là, leurs retours en pensée vers la vie civile et ceux qu'ils ont laissés la-bas, l'absence de haine exprimée de ceux d'en face, tout cela dans une langue travaillée qu'il faut apprivoiser mais dont la poésie, paradoxe, dit encore mieux la réalité de l'horreur. Je n'oublie pas l'âne Oskar chez qui réside plus d'humanité que chez les brutes qui ont mis face à face des jeunes gens qui ne demandaient qu'à vivre en paix.
C'est le dernier livre de la sélection que j'ai lu. N'écoutant que mon émotion, j'ai placé ce livre en tête de ma liste ; je ne le regrette pas, il m'aura marqué, et j'ai l'intention de l'acheter pour le relire dans quelques temps de manière plus distanciée.
mercredi 20 juin 2012 à 05h47
Le livre de Lilyane Beauquel n'est pas à lire sur un quai de gare ou entre deux biberons et son exigence d'écriture mérite de lui accorder, non pas un temps mort à combler, mais un vrai temps de lecture. Ce n'est pas un livre ordinaire, plutôt un objet étrange, non fabriqué pour happer le lecteur avec les conventions d'usage d'intrigue ou d'évolutions des personnages comme le regrette Yohan. C'est aussi en cela qu'il réussit sa mission à ne pas utiliser cette guerre en illustration mais à nous en faire pressentir l'épaisseur absurde. L'attente, les heures creuses sont autant de particules temporelles que sa caméra littéraire explore et restitue avec ces micros événements qui prennent tant de place dans une journée ordinaire de soldats prisonniers d'un destin perdu. Les lecteurs pressés, ceux qui lisent en diagonale, peuvent avoir bien du mal avec cette écriture que je rapprocherai de Julien Gracq, qui n'est, c'est vrai, pas la référence d'un écrivain populaire.
La subtilité éclairante de certains passages donne une noblesse à ces âmes brutes prêtes aux sacrifices et l'Art, comme moyen de résistance au coeur du chaos s'inscrit en filigrane de ces courts paragraphes et nous apparait plus tard en rémanence.
Bref, un livre à ne pas mettre entre toutes les mains.
mercredi 20 juin 2012 à 14h00
Indéniablement, il y a un style. Quelques fulgurances parfois, qui m'ont poussé à relire la page déjà lue. Mais que l'ensemble fut long et ardu à lire pour moi !!! Je n'ai pas lâché le livre en cours de route comme Yohan (j'aime pas ça par principe), mais je regrette de ne pas l'avoir lu par "morceaux", ce qui je pense aurait été plus agréable. Sentiment donc d'être passé à côté comme on dit, ça arrive.
vendredi 22 juin 2012 à 12h09
Je n'ai pas réussi à le lire... le style est magnifique, c'est pour cela que je l'ai quand même classé 4e de ma sélection, mais le thème m'a trop bouleversée... sensiblerie, quand tu nous tiens ^^ pour plus de détails sur mon avis, suivez ce lien !