Léonard est un adolescent habitant Intraville, commune des plus glauques située sur une presqu’île avec pour seule attraction une usine chimique de type Seveso abandonnée. Et quand ce garçon commence son récit par les mots suivants, on se demande vers quoi J. Burnside nous embarque.

Maintenant que cette histoire est finie, je veux la raconter en entier, alors même que je m'éclipse avant que des noms ne soient données ou perdus. Je veux la raconter en entier alors même que je l'oublie et ainsi, en racontant et en oubliant, pardonner à tous ceux qui y figurent, y compris moi. Parce que c'est là que l'avenir commence.

Notez que Intraville est une ville empoisonnée de fonds en comble, les bois alentours sont tous contaminés, les adultes sont d'une tristesse, d'un désenchantement féroce quand ils vivent encore car la plupart meurt souvent assez vite de maladies bizarres et inconnues. Tout et tous sont victimes de l'Usine. Ah non pas tous ! Les heureux riches vivants dans les belles demeures d'Extraville n'ont d'autre souci que de faire plus d'argent.

Dans ce bel environnement, bien des choses étranges s'y déroulent mais je vous laisse les découvrir. Et surtout des enfants disparaissent. "Tout le monde met ces problèmes sur le compte de l'usine, mais personne n'a l'énergie de faire quoi que ce soit pour y remédier"

Intraville a un autre problème : ses enfants justement. Pour la plupart, ils sont libres comme l'air, cruels ou sauvages, naviguant pour certains en bandes féroces entre les rues de la ville, les salles secrètes de l'Usine ou bien la décharge voisine où grouillent des bestioles mutantes. J. Burnside aborde intelligemment les relations parents-enfants, où les premiers se désintéressent totalement des seconds. Chacun vit sa vie, c'est l'indifférence totale. Vous pensez à Orange Mécanique ? Bizarre, bizarre. Cela fait froid dans le dos.

Au milieu de toute cela, Léonard veut vivre tranquille, s'accroche à tout ce qui peut être positif, bon, beau. Sa philosophie est que "si on veut rester en vie, il faut aimer quelque chose." Ça tombe bien, Léonard aime l'usine chimique, les livres et les filles, sans parler de ses discussions avec l'énigmatique Homme-papillon.

En plus d'une écriture, d'une histoire pleines de richesses, une ambiance poisseuse, j'ai aimé la façon qu'à l'auteur de nous démontrer que la beauté peut être partout, même dans une vieille usine de produits toxiques. On peut réellement considérer cette usine comme un personnage important de Scintillation. Tout comme Intraville, où il n'y a pourtant aucun avenir.

Intraville se cramponne à ses habitants, et les engloutit et, la plus part du temps, ils se laissent tout bonnement couler. Contagion de l'attente de l'échec.

Rassurez vous, on sort indemne de la lecture de Scintillation. On est même captivé par les récits de léonard, John Morrison le policier malheureux comme les pierres. Les discussions littéraires entre Léonard et le nouveau bibliothécaire sont un délice. L'auteur a le souci de ses lecteurs et laisse une fin ouverte. Chacun conclut selon ses impressions, convictions personnelles.

Étrange et surprenante découverte si on aime le noir scintillant.

Dédale

Extrait :

Il reste là à sourire, puis il lève les yeux vers le feuillage au-dessus de nos têtes, comme s'il y avait quelque chose qu'il avait oublié de vérifier, avant de tourner à nouveau la tête vers moi.
- Allons-y, il dit. Il se relève d'un mouvement preste et commence à s'éloigner parmi les arbres pour me montrer une chose d'une importance vitale à ses yeux. C'est que là, on na affaire à un type qui sait lire le paysage. Je pensais en savoir un peu sur la presqu'île, à force de passer tellement de temps dans le secteur et de vérifier des trucs, oiseaux, fleurs et toute le bataclan, dans les guides natures à la bibliothèque – mais moi, je me contente de regarder les images, alors que ce type-là lit toutes les petites lignes. Au fil des quelques mois qui ont suivi, à mesure qu'il venait et repartait, il m'a montré comment entailler le dessous d'une fleur et sucer le nectar qu'elle contient. Il m'a montré à quoi ressemble la jusquiame noire et m'a expliqué comment les sorcières en fumaient dans une pipe quand elles avaient mal aux dents. Il m'a raconté plus que je n'aurai jamais besoin d'en savoir sur diverses espèces obscures de papillons. Ce que j'apprends de lui, c'est qu'il aime bien les gamins, et qu'il écoute ce qu'on lui dit. Par moments, il se pique d'enthousiasme à propos d'un truc et, quand il est comme ça, il est capable de parler des heures. À d'autres moments, il faut un peu son adulte qui parle à un gamin, mais on voit que ces trucs lui tiennent vraiment à codeur et qu'il veut les partager, pas pour se donner l'air intelligent, mais parce qu'il adore trop tout ça. Il m'arrive de penser qu'il es sûrement solitaire, parce que j'ai l'impression qu'il n'a pas de vraie maison, il a juste l'air d'aller d'un endroit à l'autre avec sa camionnette, de camper dans des prés et de poser ses filets, avec pour uniques compagnons les papillons qu'il attrape puis relâche, ou les gamins curieux comme moi qu'il attire en cours de route. Ça doit être une belle vie, par moments, de juste camper à un endroit quelques temps, puis d'aller voir plus loin, comme un nomade qui se sentirait chez lui non pas dans un seul endroit mais partout. Mais il n'a pas l'air d'avoir une femme ni de copine ou quoi que ce soit du genre, et je me demande parfois comment il faut, sur le plan sexuel. Peut-être qu'il a une poule quelque part, qu'il va voir quand il passe par là. Peut-être qu'il en a plusieurs. Mais je pense qu'en réalité, il est marié à son boulot. Ce qui signifie que l'Intraville n'est sûrement pas son lieu préféré, étant donné que les résultats qu'il y obtient ne peuvent pas être totalement satisfaisants. Ce n'est pas qu'il n'attrape rien. Au contraire : il chope des milliers de papillons dans es filets tous les soirs, mais ce sont toujours les mêmes, des petites bestioles endiablées qui se jettent dans son filet de si bon codeur qu'on a presque l'impression qu'elles le font exprès.

Scintillation
Scintillation de John Burnside - Éditions Métailié - 283 pages
Traduit de l'anglais (Écosse) par Catherine Richard