En principe l’action se déroule en 1984, mais les deux héros du livre, à des stades différents, sentent qu’ils ne sont pas tout à fait dans le moment et à l’endroit où ils croient être. La première à s’en rendre compte est une jeune femme, Aomamé, qui sent d’étranges distorsions en elle, note que des événements importants de son pays lui ont échappé, et pour finir découvre deux lunes dans le ciel. 

Après avoir jugé qu’elle n’était pas folle, elle décide de nommer cette année parallèle 1Q84. L’autre personnage important de l’histoire, Tengo, un jeune homme mathématicien et romancier, est amené presque malgré lui, à réécrire le roman d’une étrange lycéenne de 17 ans, Fukaéri intitulé La Chrysalide de l’air. La lecture du manuscrit et la rencontre avec la jeune auteure vont bouleverser la vie de Tengo, au point qu’il n’est plus sûr lui non plus d’être dans le temps officiel de 1984.

Le roman est construit sur l’alternance de chapitres consacrés soit à Amomamé, soit à Tengo. Le lecteur découvre au fil des pages que des liens unissent ces deux êtres qui mènent des vies parallèles sans se rencontrer : ils étaient dans la même école autrefois, ont vécu une enfance calamiteuse, ont rompu très tôt avec leurs parents et mènent des vies solitaires. Chacun d’eux est très brillant dans sa spécialité : Aomamé est une experte en arts martiaux (je ne dévoilerai pas ici son autre spécialité), Tengo est un mathématicien de génie, mais tous deux peinent à établir des relations normales avec les autres.

L’auteur sait ménager un suspense qui va crescendo et ne sera pas résolu dans ce premier volume, tout en offrant au lecteur une passionnante réflexion sur la perception que nous avons du temps et de ce qu’on nomme la réalité. 1Q84 fait naturellement référence au 1984 de Georges Orwell et à son Big Brother, dont l’ombre menaçante s’étend sur le roman de Murakami. Je n’en dirai pas plus, mais j’ai hâte d’entamer le tome 2 en attendant la parution du troisième en mars 2012, à condition que ce soit la bonne année !

Du même auteur : Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil

Marimile

Extrait :

Amomamé se concentra encore une fois et tenta de fouiller dans ses souvenirs. Elle se rappela que les premières altérations du monde remontaient à quelques jours… Elle se souvint de la sensation étrange qu’elle avait éprouvée dans le taxi au milieu des embouteillages, en entendant le début de la Sinfonietta de Janaceck. L’impression que son corps subissait une distorsion. Elle avait eu alors la sensation que les composants de son corps étaient tordus. Comme lorsqu’on essore un torchon. Ensuite, le chauffeur m’avait appris l’existence de cet escalier de secours, se dit-elle. J’avais ôté mes talons hauts et descendu pieds nus ces marches périlleuses Un vent violent soufflait, dans mes oreilles retentissait sans cesse la fanfare de la Sinfonietta. En somme, peut-être que tout avait commencé là.

Le chauffeur de taxi lui avait donné une impression curieuse. Amomamé se rappelait encore ses dernières paroles. Elle se les répéta mentalement, aussi précisément qu’elle le put.

Si vous faites cela, il n’est pas impossible qu’ensuite le paysage vous paraisse un peu différent de celui de tous les jours. Mais il ne faut pas se laisser abuser par les apparences. La réalité n’est toujours qu’une.

1Q84
1Q84 (Livre : 1 avril-juin)
de Haruki Murakami - Éditions Belfond - 534 pages