Il y a donc deux récits qui se mêlent et s'entremêlent jusqu'à la dernière page.
D'un côté, l'histoire de Ruth qui commence 14 ans plus tôt. Alors qu'elle séjournait en France avec son mari Simon, l'impensable est arrivé : leur fille unique Heather, en vacances avec la famille de sa copine Kelly dans un camping des Cournouailles, disparaît par une nuit de brume et d'orage. On ne la retrouvera que quarante-huit heures plus tard, morte au fond d'un trou. Pour Ruth c'est le début de la descente aux enfers : le deuil impossible, le divorce, l'oubli qui ne veut pas faire son œuvre. Mais sa rencontre avec Andrew va l'aider à surmonter la douleur. Un second mariage, une seconde fille – Beatrice – la vie semble avoir repris le cours normal des choses. Pourtant les apparences sont parfois trompeuses, et douze ans plus tard, Ruth n'a jamais fait le deuil d'Heather. Alors quand sa fille Béatrice disparaît à son tour dans des conditions étranges, Ruth s'effondre.
Parallèlement au récit de Ruth, le lecteur suit le quotidien de deux inspecteurs, Will et Helen. Alors qu'Helen espère depuis des années une promotion qui ne vient jamais et une vie sentimentale plus stable, Will est obnubilé par la libération de Mitchell Roberts. Il est persuadé qu'il tient là un récidiviste potentiel et décide, contre sa hiérarchie, de mener une étroite surveillance pour prouver qu'il a raison. Alors bien sûr, quand Béatrice disparaît, Will est sûr d'avoir déjà trouvé son coupable.
Comme je le disais, les deux intrigues sont étroitement imbriquées tout au long du récit et l'on passe sans cesse de l'une à l'autre. Cette construction, loin de me déplaire, donne tout le relief au roman. Plus que la résolution de l'enquête (loin d'être aussi simpliste qu'à première vue), on est pris dans les filets de la psychologie des personnages. John Harvey s'attardent avec plaisir sur les méandres de l'esprit et l'acharnement de son inspecteur est tout aussi intéressant que la psyché perturbée de Ruth. Pourtant, il manque quelque chose pour en faire un roman impérissable. Certes, c'est une lecture prenante et captivante. Certes, on n'est pas déçu par le dénouement. Certes encore, les personnages ont de la chair et de l'âme. Alors pourquoi cette sensation de brume quelques jours seulement après l'avoir lu ? Pourquoi cette évaporation des fils de l'intrigue une fois l'ouvrage refermé ? Je serai bien en mal de le définir précisément, mais c'est ce qui fait la différence entre un honnête et un grand polar. Le Deuil et l'oubli fait pour moi partie de la première catégorie.
Laurence
Extrait :
Parfois, quand elle la voit - comme ce soir dans la cuisine - c'est Heather à l'âge qu'elle avait alors, dix ans, tout juste dix ans, elle venait de fêter son anniversaire ; avec ses cheveux sombres, plus foncés que ceux de Ruth, et si longs qu'ils lui tombaient jusqu'à la taille. Comme Raiponce, disait-elle. Raiponce dans sa tour. C'était un cauchemar de les laver, pire encore de les sécher. Des nœuds impossibles à démêler.
Et d'autres fois, quand Ruth la voit, elle est plus âgée - pas autant qu'elle le serait si elle avait vécue - mais une jeune adolescente d'environ treize ans.
Comme si elle avait arrêté de grandir à la naissance de Béatrice.
Le deuil et l'oubli de John Harvey - Éditions Rivages - 446 pages
Traduit de l'anglais par Fabienne Duvigneau
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