Laurent Kropst est un élève relativement brillant. Après des études au lycée dans le haut de la classe, il intègre la classe de maths-sup de Louis-le-Grand, l'un des lycées les plus prestigieux. Il y fait la rencontre de ceux qui ont été programmés pour venir là après leur passage au lycée, déjà à Louis-le-Grand. Puis il y a ceux qui débarquent de province ou de l'étranger, attirés par la très bonne réputation de l'établissement.
Tous les élèves de la classe ont un seul objectif : terminer dans les 18 premiers pour entrer l'année suivante dans la classe d'élite, qui leur assurera un avenir doré. Les relations entre les camarades sont toutes définies en fonction de cet objectif. Rien ne semble sincère et le classement dicte avec qui il est possible ou non de fréquenter. Laurent Kropst est bien placé pour finir l'année dans les 18 premiers, jusqu'à ce qu'il rate un devoir. C'est pour lui la fin de son rêve : il lui semble impossible de rattraper son retard. Pour y remédier, il se réfugie dans un mensonge pour amadouer le professeur. Ça marche, mais Laurent fait une découverte plus importante : l'avenir ne passe pas forcément par la maths-sup, et les littéraires lui ouvrent des portes insoupçonnées.
Emmanuel Arnaud signe avec ce roman une description décalée du monde des classes préparatoires. S'inspirant de sa propre expérience, il fait une peinture assez réaliste de cette population d'élèves particuliers. Tout se joue sur des codes, qu'ils soient scolaires, vestimentaires ou de caractères, avec l'apparition du personnage du souffre-douleur, celui du leader charismatique ou celui de la tête de classe inatteignable. En revanche, les littéraires, majoritairement des filles, sont très différents, que ce soit dans leurs attitudes ou dans les ambitions qu'ils nourrissent. La rencontre avec ce nouveau monde, qui lit des ouvrages compliqués et parle de Baudelaire, est une révélation pour Kropst. Il y découvre notamment que l'ascension sociale n'est pas le seul résultat de la réussite scolaire. L'entregent et les relations sont pour lui un autre moyen d'aboutir à ses fins, et la rencontre avec un député européen, oncle d'une camarade littéraire, est pour lui une étape importante.
J'ai lu ce roman avec un certain plaisir, étant également passé par une classe prépa (en province, où les enjeux sont beaucoup moins exacerbés). Il joue avec les codes, le vocabulaire spécifique (un lexique figure d'ailleurs en fin d'ouvrage) et exagère volontairement l'opposition entre matheux et littéraires, taupins et khâgneux. Je reste néanmoins assez perplexe face à la dimension universelle du roman, qui me semble très orienté vers une niche de lecteurs, ceux ayant connu ce cursus scolaire. Mais peut-être que d'autres lecteurs, ayant eu d'autres parcours étudiants, notamment universitaires, pourront me contredire.
Extrait :
Ainsi, grâce à l'éducation acquise en l'espace de quelques semaines, quand Laurent Kropst déambule dans les allées du réfectoire ses pas rentrent dans la terre. Il sent le poids de ses godasses marron et de ses regards fendus adressés aux filles. Lorsqu'il pose son plateau sur la table de l'une d'elle, Mélanie's ou une autre, il a conscience de la plénitude de son geste et de tous les bulbes de sourire qui en émanent comme la toile des mains de Spiderman. Il se sent poser le gant. Ce n'est plus seulement un taupin gobant des annales nuit et jour. C'est un jeune homme stendhalien qui s'examine évoluer dans les trois dimensions d'un univers social. Serait-ce cela, mûrir ? A l'autre bout du réfectoire, Gratien Bar crache un pépin dans son assiette. Laurent ne détourne plus le regard, au contraire il observe avec acuité le pépin frapper la porcelaine et produire son petit clac de dédain. Il contemple la bête vivre. Et lorsqu'elles le voient ainsi, lorsqu'elles assistent en direct à cette transformation si radicale de la matière brute en œuvre d'art, ses deux chéries sont toutes émerveillés devant leur création mondaine...
Le théorème de Kropst d'Emmanuel Arnaud - Éditions Métailié - 128 pages
Commentaires
jeudi 26 janvier 2012 à 10h05
Quelle que soit la destination prise ensuite, le passage par les classes préparatoires laisse chez ceux qui les ont fréquentées une empreinte durable. Spécificité française, elles participent à la formation de certaines élites. Ce livre, qui semble bien documenté et que je lirai surement, me parait une pièce intéressante à verser au dossier de leur contestation, de plus en plus présente. Merci Yohan pour ce billet.
jeudi 26 janvier 2012 à 13h13
Pour le coup, je vais passer mon tour. Pas trop mon truc les Prépa
mercredi 18 septembre 2013 à 17h43
Je viens de finir ce roman et j'ai vraiment reconnu l'univers de la prépa avec les différents codes et les hiérarchies. J.ai connu Louis le grand aussi mais en prépa hec et venant d une toute petite ville de province. Emmanuel souligne habilement la chasse des jeunes filles qui recherchent le futur mari idéal. C est fou de penser que des gens de 20 ans sont déjà câblés pour investir sur des relations humaines qui"rapporteront" dans quelques années. Moi qui ai dépasse la quarantaine et qui suis toujours aussi spontanée, j ai lu ce livre avec grand intérêt. Merci yohann