Dès l'ouverture du roman, le lecteur est plongé dans le merveilleux. Le personnage principal, comédienne, se rend à un casting. A son arrivée, l'ouvreuse lui demande de laisser son ombre à l'entrée. Étonnée, la comédienne passe l'audition et est retenue. Lorsqu'elle revient au théâtre pour jouer son rôle, le metteur en scène a disparu et n'a laissé aucun scénario. La comédienne doit donc occuper la scène avec pour seul accessoire une armoire et les ombres qu'elle contient. Ce sont ces ombres qui seront au cœur du spectacle, qui attire de plus en plus de spectateurs.

Les ombres sont pour la comédienne le moyen d'incarner d'autres personnages et ainsi de plonger dans le quotidien des libanaises. Elle devient ainsi Greta, une prostituée qui fréquente un bar et est la grande amie de Lena, la serveuse. Elle endosse également l'ombre de Mona, qui a décidé de faire un enfant seule après avoir été rejetée par sa famille. Ces femmes que la comédienne retrouve sur scène vont peu à peu s'immiscer de plus en plus dans la vraie vie, et ainsi rendre les frontières entre réalité et jeu théâtral perméables.

Mais le roman est également l'occasion de suivre la vie de cette comédienne. Elle se rend notamment à Berlin, avec son amie Yolla. Elle rentre au Liban sans Yolla, disparue à Berlin, mais avec Erik, un homme qui fréquentera assidument les coulisses et la salle du théâtre. Le théâtre est au cœur du roman, mais il n'est pas une bulle imperméable aux bruits du dehors, en particulier ceux des manifestants qui en cette année parcourent inlassablement les rues de Beyrouth.

Avec L'armoire des ombres, Hyam Yared explore diverses facettes : une approche merveilleuse avec ces ombres qui font corps avec l'actrice, une approche sociale avec les manifestations et une approche humaine avec le personnage central de cette comédienne. Trois approches qui dans le roman cohabitent constamment, et qui se mêlent progressivement. A tel point que  le lecteur finit dérouté, pris dans le vertige du récit, mais également heureux d'avoir découvert cette plume singulière.

Yohan

Extrait :

Tu fus longtemps minée que je n'aie conçu qu'un gosse. Tu aurais voulu pour moi une famille nombreuse. Avec une cheminée pour l'hiver. Un chien de compagnie. Une chaise à bascule, à l'ancienne. Un mari tout neuf. Je ne me souviens pas de l'avoir fait mon fils. Il a été là, comme le reste. Toi-même, t'en souviens-tu ? Lorsque je t'ai demandé pourquoi tu m'avais mise au monde, pour conjurer quelles peurs tu avais enfanté les miennes, tu n'as pas répondu. A ton silence je compris que tu ne t'en souvenais plus. Tu m'avais faite. C'est tout. Tu pris ton air excédé pour me dire que je ne comprenais rien.

L'amoire des ombres
L'armoire des ombres
de Hyam Yared - Éditions Sabine Wespieser - 208 pages