Angéline voit d'abord d'un œil méfiant l'arrivée de cette gadjé. Que cherche-t-elle ? Pourquoi s'intéresse-t-elle à ses petits-enfants ? Et que leur apporteront ces lectures, eux qui manquent de tout ? Mais Esther ne se décourage pas et laisse chaque semaine mari et fils pour s'installer devant les caravanes et apprivoiser doucement les enfants du camp et leurs parents.

Avec beaucoup de pudeur et de douceur, Alice Ferney nous invite à découvrir l'histoire et le quotidien d'une famille de nomades condamnés à l'immobilité. Il y a Angéline, l'ancêtre, qui a connu la vie sur les routes avec son défunt mari et qui veille sur ses 5 fils devenus grands, ses belles-filles et leurs enfants. Elle s'inquiète pour Angélo, le célibataire qui semble voué à la solitude ; elle a peur des colères de Simon qui frappe parfois rudement sa femme Héléna ; elle a de la peine pour Antonio et Nadia qui ne parviennent pas à avoir de second enfant ; elle n'aime pas Miléna, l'épouse de Joseph. Seuls Lulu et Misia semblent avoir trouvé un équilibre. Mais chez les gens du voyage, l'équilibre est toujours précaire…

Au fil des jours et des saisons apparaissent les difficultés de cette famille isolée du reste de la ville : pas d'école pour les enfants, de travail pour les pères mais une solidarité indéfectible face à la violence de l'administration et des sédentaires. Esther, elle, ne demande rien. Elle leur offre simplement la régularité de sa présence, quelque soit la météo et la température. Alors, face à l'entêtement de la jeune femme, la carapace de la vieille Angéline se fissure et elle finit par lui ouvrir la porte de sa caravane.

Il n'y a rien de spectaculaire dans ce roman. À l'inverse, Alice Ferney, comme son personnage principal, elle avance avec pudeur, par petites touches. Il n'y a pas de clinquant et d'ostentatoire, mais la grâce et le dénuement d'Angéline et les siens nous transportent au-delà des clichés et des a priori.

Laurence

Extrait :

Elle n'était pas venue chez les Gitans par pitié. Elle était venue avec un projet. On aurait dit que c'était elle qui avait besoin d'eux. Angéline l'avait deviné. Sacré fille ! avait-elle pensé, tu n'as pas peur de venir me parler. Mais elle n'avait rien dit. Elle avait écouté la jeune femme se recommandant de cousins d'Angéline qui habitaient une banlieue voisine. La vieille hochait la tête : Oui elle les connaissait. Esther expliquait en quoi consistait son idée : elle lirait des histoires aux enfants qui ne disposaient pas de livres chez eux. La vieille faisait la moue. Sa dignité n'aimait pas se laisser dire qu'elle manquait de quelque chose, même si elle savait que c'était vrai (des livres, elle n'en avait jamais eu). Tu donnes les livres ? demanda la vieille. Non, dit Esther, je les lis et je les rapporte où je les ai empruntés. Esther répondait à toutes les questions. Son visage commençait juste à cesser d'être lisse. La perspicacité de la vieille traversait cette enveloppe qui prenait de l'âge. Pourquoi tu fais ça ? dit Angéline. Je crois que la vie a besoin de livres, dit Esther, je crois que la vie ne suffit pas.

Grâce et dénuement
Grâce et dénuement d'Alice Ferney - Éditions Babel - 290 pages