Avec Un homme ordinaire, Yves Simon s'adresse à son père : ce père cantonnier de la SNCF, plein de compassion pour les petites gens, plein d'amour silencieux et de délicatesse pour son fils unique, Yves et sa femme.
Tu aimais sans compter, je le savais moi qui était le premier bénéficiaire de cet amour intense.
Très vite le ton est donné. C'est une lettre attentionnée à un père qui pouvait « être aussi naïf que généreux, cœur simple et grand seigneur dans un même élan. »
Toutefois, le portrait est honnête et l'enfant devenu adulte et romancier pointe aussi les interrogations du fils :
C'est quoi un père ? […] Un homme avec qui l'ont vit depuis le jour de sa naissance et avec lequel on grandit, on imagine, on rêve ? Pourquoi l'aime-t-on, alors que les années passant, on s'aperçoit des fossés qui se creusent, des destins qui digressent, des valeurs que tout oppose ?
Ou bien
qu'ai-je gardé de toi au fond de mon être qui me fut utile pour grandir, pour inverser les forces qui nous faisaient être les jouets flexibles et soumis au monde ?
C'est un fils qui chérit ce père lui ayant octroyé un amour à satiété comme un cadeau de l'existence. L'enfant devenu homme était fort de cet amour-là, celui qui su très tôt que rien ne lui serait donné sans qu'il en soit lui-même l'instigateur.
Belle et brève missive pudique, tendre, en mots justes et doux d'un père et honnête portrait en creux d'un fils qui sur une mauvaise orientation scolaire, va tiré du temps de l'internat, son avantage, sa vocation : celle des mots. Le résultat est au moins cette lettre pleine d'amour filial pour un « homme bourru au premier abord, malicieux, toujours empreint d'une rugosité affectueuse. »
Mon père ce héros, cet homme à qui l'enfant de vingt ans n'a pas voulu ressembler mais qu'il porte dans son corps comme un diamant.
Il est des hommes ordinaires que l'on aurait aimé rencontrer.
Du même auteur : L'amour dans l'âme
Dédale
Extrait :
Ta délicatesse et tes prévenances à mon égard se révèlent une fois encore lorsque j'entrais en classe de sixième. Tout d'abord, tu m'achetas une bicyclette afin que je me rende par mes propres moyens au collège du chef-lieu de canton, Vittel, à cinq kilomètres de là. Lever à sept heures et demie pour des cours qui commençaient une heure plus tard, cela me convenait. Mais, une fois l'hiver venu, que les routes durcies par le gel et cernées de congères empêchaient toute circulation, il me fallait prendre l'autorail de six heures cinquante, un cauchemar pour moi, qui liant tard le soir, peinais à me lever à ces heures indues. Mais tu avais l'art et la manière pour que ces instants désagréables me soient rendus acceptables.
Précautionneux, tu me réveillais en douceur, m'embrassant tendrement sur le front à six heures moins le quart, pour me prévenir de mon lever à six heures afin que je profite ainsi de mes dernières minutes de lit. Empressé comme une nounou noire aimante et dévouée, tu me préparais un onctueux café au lait, des tartines beurrées garnies de confiture de mirabelles, tu cirais mes chaussures, posais mon cartable dans l'entre. Bref, tu faisais tout pour que cet instant détestable des aurores me soit devenu aimable.
A cet instant où j'écris, face aux cinquante arbres de la place Dauphine, j'avoue que j'ai honte. Honte d'avoir parfois eu honte de toi devant mes camarades de classe qui prenaient le même autorail que nous. Tu portais ton misérable uniforme de cheminot que j'aurais voulu voir gommé à mes yeux. Alors, comme si tu n'existais pas, je m'éloignais de toi ne te regardant pas. Comment savoir si tu en as souffert ? Toi aussi tu retrouvais tes compagnons de travail et tu semblais, ou faisais semblant, de ne pas t'apercevoir d'une telle situation. Ton fils faisait l'important et jamais tu ne m'en fis le reproche. C'est de cet amour-là dont je veux rendre compte aujourd'hui.
Comme pour réparer une désinvolture adolescente dont je me sens responsable, j'écris des mots qui ne te parviendront pas, je les écris alors au ciel, à la terre, à ces atomes d'oxygène que nous avons partagés et qui errent dans ce monde où je vis et où tu n'es plus.
Un homme ordinaire de Yves Simon - Éditions Nil - 81 pages
Commentaires
mercredi 18 janvier 2012 à 21h08
Le père revient souvent chez Yves Simon. Rappelez vous Océan, et puis cette magnifique chanson "les fontaines du casino". J'ai acheté cet homme ordinaire, pas encore lu, mais ce sera très bien (avec Yves Simon je ne suis jamais objectif). C'est que cela fait bientôt trente ans que nous nous sommes rencontré et qu'il m'accompagne, avec des éclipses et de très beaux retours comme cette "épreuve d'artiste".
jeudi 19 janvier 2012 à 09h07
Avec cette lettre, c'est la première fois que je lis Yves Simon. Evidemment j'ai déjà entendu le chanteur
Ce texte m'a vraiment donné l'envie de creuser un peu plus dans ses autres titres. S'ils sont tous plus ou moins sur le même ton, cela devrait me plaire.
Je note cette Epreuve d'artiste. Merci Le Mérydien.
vendredi 20 janvier 2012 à 00h31
La collection Les Affranchis est vraiment une des collections les plus stimulantes récemment commencées.
Elle a aussi publié la très belle lettre que Linda Lê adresse à l'enfant qu'elle n'aura pas, que j'ai critiqué sur mon propre blog.
Je vous invite à aller voir ma critique si vous en avez envie sur hermitecritique.wordpress.com
Merci pour ce blog vivant et intéressant !