L'ouvrage, très richement et joliment illustré, est construit en trois parties. La première s'attarde longuement et de façon très pédagogique au volcan de Rano Raraku. Ce volcan servait de carrière pour la construction des statues. Ce qui intrigue Nicolas Cauwe, c'est que l'accès au volcan a été condamné. Il n'était donc plus possible d'en sortir les statues. Plutôt qu'un abandon anarchique, thèse retenue jusque là à cause des nombreuses statues restées dans la roche, Nicolas Cauwe y voit un arrêt programmé et ordonné. Ainsi, selon lui, les statues commencées et non terminées n'étaient pas transportables du fait de leur grande taille, et ont donc été taillées pour y rester. D'autres éléments (finition des statues, notamment) attestent sa thèse.

La deuxième partie est consacrée aux statues mises au sol. Longtemps, les chercheurs ont cru que la descente des statues des autels était liée à des guerres de clan. Nicolas Cauwe remet là aussi cette thèse en question suite à ses travaux archéologiques et d'analyse des statues. Pour lui, les cassures sont trop nettes et claires pour avoir été causées par des démolitions. Il défend l'idée que ces statues ont été mises au sol de façon ordonnée, là aussi, suite à l'évolution des croyances de la société des habitants de l'île.

C'est d'ailleurs ce à quoi il consacre sa troisième partie : pourquoi les habitants ont-ils fermé la carrière et mis à terre les statues. La disparition de la forêt ou des changements climatiques ont longtemps été avancés comme explications. Nicolas Cauwe évoque lui une évolution des croyances des habitants, un changement de Dieux qui aurait eu des conséquences sur toute la société de l'île.

A travers cet ouvrage souvent passionnant, parfois un peu difficile pour un novice dans sa deuxième partie, Nicolas Cauwe plaide pour une nouvelle histoire de l'île de Pâques. Avec les nombreuses photos illustrant ses thèses et les panoramas des paysages de l'île, il rend cet essai à la fois accessible et agréable à découvrir.

Yohan

Extrait :

Tout du passé est donc à construire. Aussi, convient-il de s'appuyer d'abord sur l'archéologie. Pourtant, cette discipline n'a pas toujours eu pleinement son mot à dire à Rapa Nui. Les premières fouilles scientifiques ne furent réalisées qu'au début du XXe siècle (1914), grâce aux efforts de Katherine Routledge, une anthropologue britannique. Les quelques sondages alors creusés restèrent longtemps sans lendemain. Il fallut attendre quarante ans de plus (1955-1956) pour assister au lancement d'un véritable programme archéologique, sous la houlette du célèbre explorateur norvégien Thor Heyerdahl, celui-là même qui traversa le Pacifique en 1947 sur le Kon Tiki. A sa suite, l'archéologue étasunien William Mulloy poursuivit des travaux et entama les premières restaurations de monuments. Depuis les années 1970-1980, les recherches de terrain se sont, enfin, quelque peu multipliées. Désormais, les archives du sol s'accumulent, mais elles offrent un éclairage inattendu sur l'histoire des Rapanui.

Ile de Paques
Ile de Pâques, le grand tabou
de Nicolas Cauwe - Éditions Versant Sud - 128 pages