Nous sommes en 1805, Charles IV de Bourbon règne sans partage sur l’Espagne .Les espagnols ont pour les gouverner d’éminents Évêques ou de puissants Procureurs du Roi (dont il était malaisé de déterminer les attributions respectives, car les uns et les autres se mêlaient à la fois du spirituel et du temporel) qui exigeaient d’eux le paiement des dîmes, des prémices, des subsides, des aumônes forcées, des droits gros ou petits, des capitations, des gabelles, des fruits civiques, et de cent autres tributs qu’il serait trop long d’énumérer

Je voudrais maintenant vous présenter le père Lucas, meunier de son état, fort laid au demeurant marié à la belle Frasquita. Éperdument amoureux l’un de l’autre ils vivent dans leur moulin où chaque fin d’après-midi se retrouve sous la tonnelle la bonne société de la ville. L’Évêque, les chanoines, les avocats et le Procureur du Roi fort amoureux de notre belle meunière.

Profitant du pouvoir lié à sa charge, il va tout faire pour conquérir l’objet de sa flamme. Tous les moyens lui seront bons. Saura t’elle lui résister et si oui comment ?

Dans une langue riche, vive, alerte, nous assistons alors au combat sans merci que se livrent les puissants et les faibles, tout plutôt qu’un honneur perdu.

Sans vous dévoiler l’histoire, imaginez Frasquita coincée dans son moulin par le Procureur, le meunier enlevé pour laisser la place libre… C’est à qui crie vengeance, ça bastogne, pleure, rit, on se fâche, on se réconcilie…

Ce texte classique de la littérature espagnole n’est pas sans nous rappeler Molière et Scagnarelle. Pedro de Alarcon, né en Espagne en 1833, mort en 1891 était journaliste, écrivain inscrit dans la tradition du ‘costumbrisme’ (description précise des us et coutumes).

Merci aux éditions Sillage de rééditer en format poche ces textes savoureux.
Je me suis régalée à suivre les aventures de Lucas et Frasquita, j’espère que je ne serai pas la seule.

Sylvaine

Extrait :

Je donne pour que tu me donnes.

    Il y avait donc en ce temps-là, près de la ville de X… un fameux moulin à farine (maintenant disparu), situé à peu près à un quart de lieue de l’agglomération, au pied d’une délicieuse colline, plantée de guigniers et de cerisiers, et devant une plaine très fertile, qui servait de bordure (et parfois de lit), aux eaux intermittentes et traîtresses du cours d’eau local. [...]

Pour des raisons nombreuses et variées, ce moulin était, depuis déjà quelque temps, le lieu favori de rendez-vous et de repos des promeneurs citadins les plus huppés.

Il leur offrait… les produits de la saison : tantôt des fèves vertes, tantôt des cerises et des guignes, tantôt des melons, tantôt des raisins de cette même treille qui leur servait de dais.

 « Ce meunier était donc bien opulent ou ses invités manquaient singulièrement de discrétion ! » Allez-vous récrier m’interrompant.

Ni l’un ni l’autre, amis lecteurs. Le père Lucas (ainsi s’appelait notre meunier) n’avait qu’une modeste aisance, et ces messieurs étaient la délicatesse et la fierté personnifiées.

Seulement, à cette époque, où l’on payait plus de cinquante espèces d’impôts à l’Église, et autant à l’État, un campagnard aussi avisé que le nôtre n’avait rien à perdre (au contraire) à se ménager les bonnes grâces des officiers de police, des chanoines, des moines, des laïcs lettrés et autres dignitaires civils ou ecclésiastiques.

Le tricorne 
Le Tricorne de Pedro Antonio de Alarcon - Éditions Sillage - 128 pages
Traduit de l'Espagnol par Paul Maurin