Gerry Fegan n'a pas toujours été comme ça. Il y a quelques année, quand la guerre faisait rage en Irlande du Nord, Fegan était un type aussi craint que respecté. Homme de main du parrain de Belfast, il était celui qui faisait place nette et se débarrassait des témoins gênants. Il a payé sa dette à la société en passant quelques années derrière les barreaux. Mais cela ne suffit pas pour ceux qui sont passés dans l'au-delà et ils exigent de leur qu'il les venge.
Ils sont douze hommes, femmes et enfants qui le suivent où qu'il aille. Douze fantômes qui lui désignent l'un après l'autre les coupables à abattre. Dans cette Irlande du Nord récemment pacifiée, les expéditions punitives de Gerry Fegan vont mettre à jour l'équilibre précaire de ce calme retrouvé et les coulisses peu glorieuses d'une politique prête à tout pour éviter les vagues.
Avec ce premier roman, Stuart Neville révèle sa maîtrise du rythme et de l'intrigue en mêlant habilement thriller politique et roman noir.
Du côté du thriller politique, tout le monde en prend pour son grade : catholiques, protestants, loyalistes, nationalistes, flics, curés et politiciens. On patauge dans la boue et l'abject et l'auteur nous montre que si des accords de paix ont été signés ce sont toujours les mêmes hommes qui tirent les ficelles, les activistes d'hier étant devenus les élus d'aujourd'hui.
Du côté du roman noir, tout repose sur les épaules de Fegan. Il fallait donc un personnage suffisamment épais pour nous transporter avec lui sur plus de 400 pages. Fegan est de ces personnages : trouble et complexe, effrayant et attachant, il parvient à nous émouvoir malgré les horreurs qu'il a commis et commet encore. Stuart Neville ne nous épargne d'ailleurs rien des abjections qu'un être humain peut faire subir à l'un de ses semblables, et il faut avoir le cœur bien accroché à la lecture de certains passages. Le personnage féminin participe bien sûr à cette humanisation de l'ancien tueur à gage, mais même sans cela, on reste fasciné par cet être en plein examen de conscience que la folie guette sans cesse.
En lisant les Fantômes de Belfast, j'ai eu la sensation non seulement d'avoir un excellent thriller entre les mains, mais aussi de mieux connaître une part de l'histoire nord-irlandaise. Alors quand la lecture allie plaisir et instruction, on n'aurait tord de s'en priver. Quant à Stuart Neville, il démontre avec ce premier roman une grande maîtrise de la construction narrative et c'est un nom qu'il faudra retenir à l'avenir.
Laurence
Extrait :
Fegan amorça la descente à son tour, lentement. Pris d'une poussée d'adrénaline, il retrouva de lugubres souvenirs, des voix depuis longtemps réduites au silence, des visages sanguinolents. Les onze autres fantômes venaient derrière en échangeant des regards éloquents. Une fois parvenu au pied de l'escalier, il vit McKenna qui lui tournait le dos. Le politicien examinait un photo de la mère de Fegan, du temps où elle était jeune et jolie, debout sur le seuil d'une porte.
Le garçon traversa la pièce et mima l'exécution de l'homme qui l'avait démoli avec un marteau, plus de vingt ans auparavant.
Le cœur de Fegan cognait dans sa poitrine, il respirait avec peine. McKenna allait sûrement l'entendre.
Le garçon le regarda et sourit.
« Tu me laisseras tranquille après ? » demanda Fegan.
Le garçon hocha la tête.
« Pardon ? » McKenna posa la photo, se retourna, et demeura figé en voyant l'arme pointée sur son front.
« Ce n'est pas possible ici » dit Fegan.
Le sourire du garçon s'évanouit.
« Pas chez moi. Ailleurs. »
Le sourire réapparut.
«Bon sang, Gerry.» McKenna eut un petit rire nerveux en levant les mains. « Qu'est-ce qui te prend ?
- Désolée, Michael, je suis obligé. »
Les fantômes de Belfast de Stuart Neville - Éditions Rivages - 408 pages
Traduit de l'anglais (Irlande) par Fabienne Duvigneau
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