Robinson Crusoe, fils de bourgeois du XVe siècle dans la ville de York, refuse de prendre la succession de son père, persuadé qu'il est destiné à naviguer. Et même si l'Océan lui démontre à plusieurs reprises qu'il ne veut pas de lui, Robinson s'obstine et finit par échouer sur une île déserte. Il y passera près de 30 ans avant d'être secouru.
Certes, on pourrait résumer ce roman à ces quelques lignes, mais si ce récit a ainsi traversé les siècles c'est qu'il est évidemment plus que cela.
Robinson Crusoe aura bien du chemin à parcourir et des mésaventures à surmonter avant-même de mettre le pied sur son île. Si je commence par ce préambule, c'est que j'avais moi-même oublié la longue introduction, pourtant fort révélatrice du caractère entêté de Robinson. J'ai donc découvert comme si c'était la première fois, son kidnapping, son état d'esclave, son évasion, son installation au Brésil et ses débuts en tant que propriétaire agricole. Et à lire ces quelques pages, on n'est pas loin de penser que Robinson a décidément tout fait pour échouer sur cette île.
Mais, là encore, la chance est avec lui : non seulement le bateau s'étant échoué à quelques mètres des côtes, il a pu récupérer des caisses entières de matériel, mais l'île en elle-même lui offre une multitude de ressources. Passés donc les premiers temps d'adaptation, Robinson connaît finalement une vie plutôt prospère, si ce ne sont ses interrogations continuelles sur le sens qu'il doit donner à tout cela. Et c'est l'un des thèmes que cette nouvelle traduction remet au centre du récit. Contrairement à la traduction de 1836 qui avait expurgé un certain nombre de passages se référant aux crises mystiques de Robinson, Françoise du Sorbier a scrupuleusement respecté ici le texte d'origine. On comprend alors encore mieux pourquoi Jean-Jacques Rousseau tenait cet ouvrage pour un texte majeur dans l'éducation des enfants. On retrouve ici toute la philosophie de Liebniz qui veut que les mésaventures des humains soient un juste retour divin de leurs actes. Robinson bât sa coulpe et devient un fervent croyant. Je ne vous cacherai pas que cela ne m'a pas rendu le personnage particulièrement sympathique et que ses crises de foi m'ont parfois un peu fatiguée.
Mais les bénéfices de cette traduction vont bien au-delà de la restitution de passages tronqués dans la version précédente. Françoise du Sorbier voulait être au plus près du texte et du style de Daniel Defoe. On ne retrouve donc plus les découpages artificiels en chapitrages (très en vogues au XIXe) ni cette façon ampoulée de s'exprimer quand les Français tenaient tant à prouver la supériorité de leur langue sur toutes les autres. Françoise du Sorbier a cherché à retrouver le phrasé simple mais efficace de Daniel Defoe, tout en modernisant le vocabulaire sans que cela paraisse anachronique. Cela n'a l'air de rien dit ainsi, mais c'est une véritable prouesse que Françoise du Sorbier a su relever puisque l'on oublie que sa traduction nous est contemporaine.
Voilà donc une excellent occasion de lire ou relire ce grand très roman de la littérature britannique. Et je voudrais conclure ce billet par un dernier clin d'œil à l'épilogue des aventures de Robinson et à sa traversée des Pyrénées : ceux qui savent comment Vendredi chasse l'ours me comprendront, quant aux autres, voilà un argument de plus pour vous plonger à votre tour dans ces aventures extraordinaires.
Laurence
Extrait :
Pendant tout ce temps, la tempête se renforçait et la mer, où je ne m'étais jamais trouvé encore, devenait très grosse, bien que ce ne fut rien en comparaison de ce que j'ai vu maintes fois depuis ; non, ni même de ce que je devais voir quelques jours plus tard. Mais cela suffit à ébranler un marin aussi novice que moi, qui ne connaissais rien aux choses de la mer. Je m'attendais à être avalé par chaque vague, et chaque fois que le bateau plongeait dans un creux, je croyais que nous allions être engloutis et ne nous redresserions jamais. Dans l'angoisse où j'étais, je promis à maintes reprises à Dieu et à moi-même, s'il lui plaisir de m’épargner au cours de ce voyage et si je retrouvais un jour la terre ferme, de rentrer tout droit à la maison, de suivre les conseils de mon père, de ne plus mettre les pieds sur un bateau aussi longtemps que je vivrais et de ne plus m'exposer à de telles misères.
Robinson Crusoe de Daniel Defoe - Éditions Albin Michel - 419 pages
Traduit de l'anglais par Françoise du Sorbier - Préface de Michel Déon
Commentaires
mercredi 1 février 2012 à 09h29
Perec, Penac, Lévy et tant d'autres ont moins besoin de relais médiatiques que des petits auteurs inconnus. Ne serait-il pas plus aventureux d'aller chercher des inconnus pour les aider à émerger ?
mercredi 1 février 2012 à 10h36
Bonjour Jeanmi,
il semble que vous n'avez pas pris le temps de consulter le site, sinon vous vous seriez aperçu que les "petits auteurs" ont largement leur place chez nous. Si maintenant c'est une façon pour vous de faire votre auto-promo, la démarche est plutôt maladroite.
samedi 4 février 2012 à 18h24
Excellent article, qui donne envie de lire le célèbre et méconnu chef-d'oeuvre. Il y a tant d'éditions "expurgées", en effet, qui commencent avec l'arrivée dans l'île et s'achèvent au sauvetage, comme le souhaitait d'ailleurs Rousseau, qui voulait débarrasser le roman "de tout son fatras".
dimanche 5 février 2012 à 12h00
Merci Pierre Ahnne. On se rend compte en effet, à la lecture de cette traduction que le Robinson que nous connaissons n'est pas forcément celui de Defoe.