Jean-Michel Delambre aborde dans ses textes le dilemme des tentatives de traversées de la Manche par les immigrés clandestins. Sujet vaste et d'importance de nous jours où les sociétés européennes se recroquevilles sur elles-mêmes. Indépendamment de la question de l'accueil offert à ces voyageurs de passage, l'auteur traite de la difficulté même du voyage entrepris, des souvenirs des proches laissés au pays, des risques encourus sur place et durant le trajet, la recherche désespérée ailleurs d'une vie meilleure.

Et comme le dit si bien dans la préface le poète Gérard Cartier, en tant que Président du jury du Prix des Trouvères, dès « les premières pages lues, je ne crois pas qu'on pusse lâcher le livre. On est retenu par cette voix qui dit l'espoir et la détresse d'hommes jetés en contrebande sur les routes par la guerre ou la misère…»

J'ai aimé cette écriture, cette langue directe, efficace où prime le jeu des sons, des images presque subliminales. L'auteur laisse presque le lecteur faire le travail facilité par les impressions qui résonnent, qui touchent et vont droit au cœur. Le tout est sans fioritures ni misérabilisme. Certains textes sont reçus comme des uppercut, comme ces balles qui n'explosent que quelques minutes après, avec grand fracas.

Pour avoir vécu l'expérience, ne vous conseille pas de lire ces textes dans les transports, surtout pas au moment de la folie des soldes. Le choc, le contraste avec les textes de Delambre, leur sujet, ces hommes loin de tout ce qui leur est cher, est absolument fracassant. Déflagration garantie entre deux mondes, deux priorités de vie.

J.-M. Delambre se dit simplement passeur de mots pour tous ces êtres en exil. Qu'il a été bon de le suivre sur ces chemins de l'exil !

Dédale

Extrait :

L'aube givrée
embellit la jungle de Calais
« il a rimé
ce matin ! » a dit l'un des bénévoles
Sur son tee-shirt est écrit « Salam »

Ondulations de toiles plastiques
linge funambule sur des fils tendus
silhouettes mouvantes
parmi les cartons éventrés
chiens errants qui fouissent les détritus
un autre lèche le cadavre ami

« Il est mort ! »
Celui qui a parlé
a une croix rouge dans le dos

« Pas de papiers, ni d'empreintes
(le bout des doigts est usé)
il est jeune, sûrement un afghan
la plupart son afghans
ici ! »

pour épitaphe




L'ombre bienveillante et sucrée
des oliviers de bohème
les arbres aussi sont des migrants

Dans l'attente de la barque
rafiot pourri nef des fous
Tu t'impatientes

A quelques déserts de là
le malheur est assis
sur la margelle du puits tari
Les seigneurs de la guerre
ont saigné le village
et signé le néant
Paradent les pick-up
pétaradent les kalachnikovs

Le ciel est illisible
des nuages noirs s'ébrouent
dans le plomb fondu
L'océan a tout son temps
lui.

L'eldorado de la méduse
L'Eldorado de la Méduse de Jean-Michel Delambre - Éditions Henry - 34 pages