Si je ne peux vous parler des différences entre ces deux versions, il n'en reste pas moins que l'intrigue porte sur la relation passionnelle entre la plus grande auteur britannique du XXème siècle (à mon sens) avec une autre auteur de son époque Vita Sacks-Wells. Si l'aspect amoureux de ces deux femmes est important pour Christine Orban, elle étudie aussi l'impact de cette passion sur le travail littéraire respectif de ces deux femmes de lettres.

Christine Orban a su se faire oublier entre ces deux femmes exceptionnelles. De surcroît, à aucun moment, le lecteur ne se demande si cette relation a bien existé ou pas – belle prouesse ! Elle rend parfaitement bien la jalousie, les affres des amours, les anciennes liaisons de Vita.

Virginia était marié à Leonard, éditeur des romans de son épouse et de bien d'autres auteurs britanniques comme étrangers. Tout deux ont œuvré âprement et sans trop de moyens financiers pour la littérature. De plus, Virginia est malade. Quand elle n'écrit pas, quand son esprit n'est pas totalement absorbé par un nouveau roman, il s'évade en des zones dangereuses. La dépression l'étreint. La folie la guette.

Tous avait été unanimes : il fallait occuper son esprit et si possible l'entretenir dans la crainte et le souci des éloges de la presse. Elle avait besoin de contraintes : lorsqu'une trop grande liberté s'ouvrait à elle, son esprit, irrésistiblement, choisissait les mauvais chemins.

Vita Sacks-Wells, elle, est issue de l'aristocratie, l'épouse d'un homme de son milieu et diplomate. Elle est belle, brillante, pleine d'originalité et de talents. Tout ou presque la sépare de Virginia : sa fortune, son estime de soi, sa maternité, ses amours, sa vitalité éblouissante.

Si j'ai peu apprécié l'aspect amoureux de cette relation ou apologie de la liberté, j'ai nettement plus été intéressée par les questions sur la création littéraire. Qu'est-ce qui chez l'une comme chez l'autre initie l'étincelle de la création ? Qu'est-ce qui dans leurs vies, leurs personnalités, leurs oppositions, la maladie de Virginia, sa jalousie envers les autres amantes de Vita, leurs relations avec les hommes (toutes deux sont mariées à des hommes un tantinet dépassés par la personnalité de leurs épouses) devient matière à des poèmes ou un nouveau roman ?

Finalement, je reste avec un sentiment mi-figue, mi-raisin. Peut être ai-je été gênée de ne rien connaître de la vie et l’œuvre de Vita Sacks-Wells. Peut-être ai-je été d'emblée prise par le sentiment désagréable que cette relation entre les deux femmes était à mon sens déséquilibré. Virginia trop vulnérable vis-à-vis de la flamboyante Vita ?

Telle a été ma lecture de ce roman insolite, volontairement littérairement audacieux, jouant avec les non-dits et la parole crue. A chaque lecteur, son appréhension différente de ces interrogations.

Dédale

Extrait :

Un rayon de soleil éclairait son visage. Elle ouvrit un œil, éblouie, regarda sa montre. Huit heures. Cinq heures de sommeil même tourmenté suffisaient à la reposer et lui permettaient de se replonger, trop vite peut-être, au milieu des préoccupations de la vielle. Comme s'était achevée la soirée à Long Barn ? Si Harold avait eu l'imprudence d'aller le premier se coucher et laisser Violet et sa femme libres de leurs comportements, le pire aurait pu se produire. Dans un effort considérable, celui-là même que Léonard lui avait appris pour ne pas sombrer dans la mélancolie : « Continue ta route, ne te retourne pas, cela ne sert à rien », elle s'habilla et, la tête entre ses mains, se borna par hygiène morale à s'interroger : Comment introduire le chapitre suivant ? Était-il possible de s'adresser directement au lecteur, d'en faire un complice ? « Nous nous trouvons ici devant une difficulté, autant l'avouer franchement sans palabres. Jusqu'à ce point, dans l'histoire d'Orlando des documents privés ou historiques nous ont permis de remplir notre premier devoir de biographe… »
Pourquoi de temps à autre ne pas baisser le masque et ouvrir son cœur ? En demandant conseil à Leonard, elle craignait d'abîmer à ses yeux son image d'écrivain  puis une fois encore, elle parvint, non sans effort, à dissiper cette coquetterie. Sa santé morale était une question d'énergie. Elle sombrait dans la dépression quand elle n'avait pas la force de repousser les contrariétés, aussi petites fussent-elle, lames de fond sournoises et persistantes qui coulaient son navire. Elle respira très fort et se borna à penser : Comment utiliser toutes les sensations jetées en vrac dans mon journal hier soir en rentrant de Long Barn et dans quel chapitre les intégrer ?
Sa vie personnelle et les émotions qui l'habitaient nourrissaient son roman et l'éloignaient du chemin tracé. Les chapitres 1, 2, 3 se transformaient en chapitre 4 et le chapitre 4 prenait une autre tournure depuis que Violet était revenue. C'était à la fois rassurant et effrayant de constater combien sa vie sentimentale avait d'incidence sur son œuvre, impossible de dissocier l'une de l'autre.

Virginia et Vita
Virginia et Vita de Christine Orban - Éditions Albin Michel - 233 pages