Georgie, la narratrice, est une quadragénaire qui a beaucoup de mal à accepter sa récente séparation. Restée seule dans la demeure familiale avec son fils cadet, elle écrit quelques articles pour une revue en ligne spécialisée dans la colle (Des adhésifs dans le monde moderne), tente vainement de finir l'écriture d'un roman à l'eau de rose et a l'impression d'avoir raté sa vie. Sa rencontre avec Madame Shapiro va complètement bouleverser son quotidien.

Il faut dire que Madame Shapiro est un personnage haut en couleur : réfugiée juive pendant la seconde guerre mondiale pour échapper aux camps de concentration, elle vit dans le souvenir de son défunt mari, un musicien polonais virtuose. Habillée de bric et de broc, entourée d'une dizaine de chats, et ne quittant jamais le landau dans lequel elle entrepose ses trouvailles, elle ressemble plus à une clocharde qu'à une vieille dame à la retraite. Et surtout Madame Shapiro est bien décidée à trouver un nouveau mari à Georgie. Mais Madame Shapiro, à la suite d'une chute sur un trottoir, se retrouve à l'hôpital et les promoteurs immobiliers à l’affût tentent d'en profiter pour acheter sa maison à bas prix.

Des adhésifs dans le monde moderne est un drôle de récit, un objet un peu hybride.
Il y a d'abord l'humour irrésistible de Marina Lewycka. À commencer par son art de croquer les personnage de son récit. Parmi eux, le personnage de Madame Shapiro et sa façon si particulière de s'exprimer et de maltraiter la langue, sont une des grandes réussites de ce récit. Mais il faudrait également citer Monsieur Ali, les Incapables, le séduisant agent immobilier ou encore wonderboy, un des sept chats de Madame Shapiro. Et puis, Marina Lewycka a l'art d'imaginer des scènes absolument hilarantes et cocasses. Certaines resteront gravées dans mon esprit pour longtemps, mais je ne vous en dirai pas plus pour vous laisser le plaisir de les découvrir. Des adhésifs dans le monde moderne est donc en premier lieu un roman où l'on rit beaucoup.

Mais comme dans Une brève histoire du tracteur en Ukraine, l'auteur mêle habilement la légèreté à des questions plus profondes. Il est ici question du conflit israélo-palestinien, de la seconde guerre mondiale, des défaillances du système de protection sociale en Angleterre ou encore des groupuscules fanatiques qui sévissent sur la toile. Tout cela pourrait paraître bien trop pour un récit qui reste avant tout un divertissement, mais Marina Lewycka insère tout cela avec suffisamment d'intelligence pour que l'ensemble reste fluide et agréable. Car ce qui noue tout cela, ou devrais-je dire ce qui colle, c'est la question du lien, qu'il soit social ou familial. Marina Lewycka porte un regard assez critique sur nos sociétés contemporaines et sur l'indifférence qui gagne du terrain petit à petit. Sa narratrice, face aux événements, se met alors à faire des parallèles entre son objet d'étude (la colle sous toutes ses formes) et les rapports entre les êtres humains. Amusant de voir qu'elle fait finalement mouche.

J'ai vraiment pris beaucoup de plaisir à lire ce récit, et je ne suis pas prête d'oublier la galerie de portraits imaginée par Marina Lewycka. Madame Shapiro, Monsieur Ali, les incapables et les autres, si vous aviez la bonne idée de réapparaître dans une nouvelle histoire, je vous suivrai avec bonheur.

Du même auteur : Une brève histoire du tracteur en Ukraine

Laurence

Extrait :

Quelqu'un sortait des affaires de la benne déposée devant chez moi.
J'ai d'abord cru que ce n'était qu'un adolescent, une petite silhouette aux allures de moineau, la casquette baissée sur le visage ; puis la silhouette s'est retrouvée dans la lumière et je me suis aperçue que c'était une vieille dame aussi efflanquée qu'un chat de gouttière qui tirait sur des rideaux en velours bordeaux pour atteindre le carton de vieux vinyles de mon mari à demi-enfoui sous le bric-à-brac. Je lui ai fait signe de la fenêtre. Elle m'a répondu gaiement en continuant à tirer. Soudain, la carton s'est dégagé et elle est tombée à la renverse, éparpillant les disques au beau milieu de la rue et en cassant quelques uns. J'ai ouvert la porte et me suis précipitée pour l'aider.
« Ça va ? »
Elle s'est relevée péniblement en se secouant comme un chat. Elle avait le visage à demi dissimulé par la visière de la casquette - une de ces grosses casquettes de gavroche à la Twiggy, ornée d'une broche en strass épinglée d'un côté.
« Je me demande quel genre de personnes qu'il peut jeter la musique comme ça. Grands compositeurs russes ». Elle avait une belle voix ambrée, qui s'effritait comme un cake. J'avais du mal à reconnaître son accent. « Il doit avoir les barbares qui habitent le coin. »

Des adhésifs dans le monde moderne
Des adhésifs dans le monde moderne de Marina Lewycka - Éditions Des 2 terres - 508 pages
Traduit de l'anglais par Sabine Porte