Cinq nouvelles composent ce recueil. La première donne son nom au recueil : L'iguifou. Pour la petite Colomba, l'iguifou est la faim qui la tenaille lorsqu'elle n'a même plus quelques grains de riz pour la nourrir. L'attente de sa mère qui est sensée apporter quelques fruits ou racines occupe toute entière la petite fille, qui ne parvient pas à oublier sa faim, jusqu'à être éblouie par une lumière étincelante.
Puis on découvre, dans La gloire de la vache, comment une vache peut devenir le centre de la vie d'un village. En étant obligé de s'en séparer à cause de l'exil, la famille regrette la vache qui lui servait de moyen de subsistance. C'est alors que l'animal tant vanté devient l'objet d'une mythologie qui touche à la fois la famille et le village, et la moindre apparition d'une vache occupe alors tous les esprits.
La peur est certainement la nouvelle la plus forte du recueil. On y apprend que le Rwanda a été plusieurs fois touché par les massacres entre les deux ethnies, les hutus et les tutsis. Dans les années 50 et 60, sous la domination coloniale belge, les deux populations se faisaient déjà la guerre. La nouvelle raconte comment la peur des militaires, brutaux, arbitraires, a des conséquences sur tous les aspects de la vie privée. Jamais on ne se sent en paix, et il faut toujours anticiper un lieu de repli au cas où l'ennemi apparaît.
Le malheur d'être belle est la chronique de la vie d’Héléna. Jeune femme très belle, dès l'adolescence, elle a eu le malheur d'être née dans la minorité tutsie. Sa vie est de ce fait un enfer. Poursuivie par sa réputation de femme à homme, elle est contrainte à la prostitution et à l'exil. Dans cette nouvelle, on passe du Rwanda au Burundi, on croise Mobutu et on découvre les relations diplomatiques déséquilibrées qui dictent la vie de ces pays et de leurs habitants.
Enfin, le deuil est la dernière nouvelle et la seule qui aborde de manière frontale le génocide, toujours évoqué avant mais de façon indirecte. Le personnage raconte elle parvient à effectuer son travail de deuil en Europe, sans avoir eu l'occasion ni de retourner au Rwanda, ni de dire au revoir aux membres de sa famille qui ont été tués. Le retour au pays clôt, de manière symbolique, cet ouvrage magnifique où Scholastique Mukasonga n'évite aucun sujet difficile, tout en l'insérant dans des intrigues et une écriture admirables. Un très beau recueil de nouvelles.
Extrait :
Je savais où aller pour essayer d’apaiser l’Iguifou. Tu sais bien que les Rwandais croient que cela porte malheur de sortir de la maison, le matin, sans avoir avalé quelque chose. C’est ce qu’on appelle gusamura. Aussi, au pied du grand lit des parents, il y avait toujours une marmite de terre où maman laissait un reste de patates douces qui nous attendait au fond du pot. Afin que nos bras trop courts puissent l’atteindre, elle la posait de biais sur le col d’une cruche cassée qui lui servait de socle. Comme chaque matin, j’ai plongé ma main pour atteindre les deux petits morceaux de patates. Ils étaient collés à la croûte de jus brûlé qui tapissait le fond de la marmite et quand j’ai essayé de les saisir, ils se sont effrités entre mes doigts.
L'iguifou - Nouvelles rwandaises de Scholastique Mukasonga - Éditions Gallimard - Continents noirs - 120 pages
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