Avec cette seconde lecture d'un ouvrage de cet auteur mexicain plein de drôleries, de pétillant, je réalise combien il est difficile de résumer ses intrigues. En effet, ses histoires sont à chaque fois un ensemble de plusieurs vies différentes bien imbriquées les unes dans les autres. Difficile donc d'en parler dans le détail. Et pour éviter de vous perdre dès maintenant, je vous donne ici la présentation de l'éditeur. Ce sera plus simple.

Enfant maudit, Juan Capistrán se voue dès l’adolescence à la conquête d’une fillette qui le dédaigne. Devenue femme, la belle Carmen l’ignore plus que jamais. En toile de fond des récits du vieux conteur et des interprétations romanesques de Froylán, son biographe : la ville frontalière de Tula, fabuleux théâtre de personnages, comme Fernanda, la mère morte en couches de Juan, le père Nicanor, le général Pisco et le maestro Fuentes, entre autres témoins de l’orgueil légendaire des « Tultèques », tous un peu aventuriers ou trafiquants en illusions.

Si les personnages sont attachants par leurs travers, j'ai tout de même perdu le fil avant la fin. Les longues indécisions de Froylán Gomez, ses tergiversations à se décider à quitter ou non sa femme Patricia pour Carmen - une autre, pas celle de Juan, même si pour le vieux, toutes les femmes de la ville sont toutes un peu sa Carmen à lui -, ont eu raison de mon attention. Dommage. Étrangement, je n'arrive pas à me départir de l'idée que cela était peut être voulu par l'auteur, rusé et plein d'idées qu'il est.

Je m'explique. En effet, suprême ruse de l'auteur serait de ne pas terminer son action comme le font ses personnages, comme la ville de Tula, pleine de religion et de superstitions mélangées, qui s'engagent dans de nombreux projets mais ne les poursuivent jamais jusqu'au bout. Que ce soit le plan de défense militaire de la ville et l'embauche pour rien d'un général inconnu, la construction d'une portion de voie ferrée de Tula et son raccordement au réseau officiel qui tombe finalement en quenouille, je me demande si l'auteur n'a pas été lui même pris par des chemins de traverses, par d'autres illusions. Si cela était délibéré de sa part, je lui tire mon chapeau. Sinon, tant pis, mon idée est totalement saugrenue, mais tout de même amusante à imaginer. C'est l'effet David Toscana : tout est possible !

Il n'en reste pas moins que j'aime les idées un peu loufoques, farfelues, de cet auteur mexicain. En le lisant, je me demande toujours d'où lui viennent ses idées, les traits de caractère plus ou moins bien trempé de ses personnages haut en couleurs. La grand-mère de Juan Capistrán, Dona Esperanza, vaut à elle seule le détour. Une maîtresse femme s'il en est, pour ne pas dire une vraie mégère. Je note aussi que D. Toscana aime les femmes ou plutôt la femme. A chaque roman, les femmes sont des personnages clés. Les hommes semblent eux un tantinet dépassés par les événements, par les personnalités féminines qui les entourent ou bien part trop frappés par le fatalisme étant donné que quoi qu'ils disent ou fassent leurs femmes n'en feront qu'à leur tête. Alors à quoi bon ! On se dit souvent : les pauvres, ce qu'ils endurent !
Est-ce le propre de la vie au Mexique ? Un reflet bien réel de la société mexicaine aux temps des romans de l'auteur ? Je n'en sais rien, mais le résultat est assez cocasse.

Bref, si je suis restée en rase campagne avec ce train là, il n'en reste pas moins que je suivrai à nouveau le Chef de train, David Toscana, dans d'autres périples.

Dédale

Extrait :

Buenaventura insista durant presque deux ans. D'abord tous les jours, puis en espaçant ses visites, jusqu'à laisser passer plusieurs mois. Elle frappait à la porte de Dona Esperanza :
- Madame, je vous amène votre petit-fils, ayant pitié de lui.
- Va-t-en, Negra, cet enfant a tué ma fille, lui répondait-elle invariablement.
Buenaventura tournait les talons en se promettait de revenir à une autre occasion, promesse qu'elle se faisait par habitude, dans l'idée d’œuvrer selon ce que lui dictait sa conscience. « Et si dona Esperanza acceptait l'enfant ? », se demanda-t-elle un jour.
Alors elle comprit qu'elle l'aimait comme son propre enfant, et même comme elle n'avait jamais aimé Esperancité, sa fille défunte. Elle l'avait appelée ainsi en l'honneur de sa patronne, sauf que dona Esperanza, loin de se sentir flattée, lui avait reproché son audace. La contrariété causée par ce prénom ne dura guère : un cochon sorti de sa bauge tua le bébé. Pour ne pas perdre toute trace de maternité, Buenaventura maintient ses seins en activité en préparant un café au lait ou en allaitant des nourrissons affamés. Grâce à ça, elle put nourrir le fils de Fernanda. Elle sut ainsi, à mesure qu'il grandissait, qu'il devenait la chair de sa chair. Elle se moqua ensuite de le voir se couvrir de taches de rousseur et d'un duvet presque blanc au lieu de poils, car moins il ressemblerait aux Gil Lamadrid, plus il serait son fils.
Les gens, en revanche, ne voyaient pas cela d'un très bon œil.
- Avez-vous remarqué comme le petit-fils d'Esperanza a enlaidi ? Chuchotait une femme.
- Oui, ce doit être parce qu'il boit du lait de Noire.
- Allons donc !
- Pourquoi pas ? Renchérit une autre. Je sais bien que Buenaventura l'a allaité !
- Bien sur ! Et moi, on m'a dit qu'en réalité les Noires avaient du lait de sanglier.
On avait dit bien des choses depuis le jour où Fernanda avait crié : « Je porte le Démon ! » A Tula, ces mots ayant valeur de prémonition, on inventa beaucoup d'histoires démoniaques avant même qu'elle ne mourût en couches.

Un train pour Tula
Un train pour Tula de David Toscana - Éditions Zulma - 282 pages
Traduit de l'espagnol (Mexique) par François-Michel Durazzo