Je n’écris pas un roman mais seulement un témoignage sur les principaux événements de ma vie… Mon existence a été mouvementée.

Et nous voilà embarqué à ses côtés chez son premier libraire, chez un vieil homme à la jambe de bois (pilon pour les initiés), nous le suivrons aux puces, dans un sac sous les ponts de paris…
C’est l’occasion pour le livre de nous faire un portrait de tous ces types de lecteurs parmi lesquels on en trouve bien un qui nous ressemble un peu. Paul Desalmand se régale et nous enivre au passage de réflexions et de citations des auteurs qu’il affectionne particulièrement.

Après une carrière dans l’enseignement suivie d’une grande expérience dans le monde de l’édition, Paul Desalmand publie ce premier texte. Roman, essai, pamphlet, atypique sûrement, c’est ainsi que le définit  Patrick Cauvin dans sa préface.
Auteur atypique donc qui, à la question Pourquoi écrivez-vous ? répond: Pour atteindre un état où je n’aurai plus envie d’écrire

Un très court texte donc à savourer comme une confiserie avec un brin d’émotion et un petit sourire en coin

Sylvaine


Je dois commencer par remercier Sylvaine pour cette jolie découverte. Un livre qui s'adresse directement à vous, l'idée n'est pas nouvelle et j'ai déjà chroniqué en ces lieux deux ouvrages qui usaient du même procédé (Dix mille et Une nuit à la bibliothèque). Mais Paul Deslamand va bien au-delà du simple clin d'œil stylistique et nous offre une histoire succulente sur la vie d'un livre et de ses lecteurs.

Comme Sylvaine l'a très bien expliqué au-dessus, Paul Desalmand en profite pour nous livrer des citations d'auteurs qu'il affectionne et pour semer au fil des pages mille et une anecdotes de lecture. Finalement, ce Pilon aurait pu être une simple lecture divertissante. Mais avec beaucoup de finesse et d'habileté, Paul Desalmand a donné à cet ouvrage une densité assez remarquable.

D'abord parce que le livre qui nous parle a eu la vie d'un baroudeur. Il ne fait pas partie de ces ouvrages qui trouvent acquéreur dès la sortie de l'imprimerie et passent leur vie rangés dans la bibliothèque de leur seul et unique propriétaire. Ce livre, véritable aventurier qui a voyagé de propriétaire en propriétaire, a connu mille aventures extraordinaires et a acquis la sagesse d'un ancien.

Ensuite, parce qu'il permet aux néophytes de mieux comprendre la chaîne du livre : qu'est-ce que le pilonnage ? Pourquoi les libraires se plaignent-ils des offices ? Quelles sont les combines des bibliophiles ? Qu'est-ce que le métier d'éditeur ? Comment distinguer un bon libraire d'un mauvais ? Derrière l’apparente légèreté du récit, Paul Deslamand nous livre une réflexion lucide sur l'entreprise du livre.

Et puis, ce qui a totalement fini de me charmer, c'est la façon dont Paul Deslamand entretient l'ambiguïté entre réalité et fiction. Je m'explique. Très vite, j'ai reconnu entre les lignes certaines personnes qui existent réellement. Après quelques vérifications sur le web, et l'apparition d'un grand libraire montpelliérain (Pierre Clerc) cette impression s'est trouvée confirmée. En fait, pratiquement toutes les personnes qui croisent la vie de ce roman-narrateur existent réellement (le libraire de Tulle, l'enseignant lunellois, le collectionneur). Ma curiosité ainsi piquée, je voulais également percer le mystère de l'identité de l'ouvrage qui se racontait ainsi. D'autant qu'il nous livre en début d'ouvrage un descriptif assez détaillé :

Je suis né le 17 Juin 1983 à 16h37, sorti des presses de la Manutention à Mayenne. Format : 16.5 cm x 12.5 cm. Poids : 230 grammes. Nombre de pages : 224. Caractères : Garamond. Corps : 12. Nature du papier : bouffant de 90 grammes. Six dessins de Jean Mulatier. Tirage 800 exemplaires numérotés de 1 à 800 et 20 exemplaires sur japon numérotés de 1 à XX avec couverture et gravures originales de Marc Pessin

Me voilà donc, armée de l'année de publication, des noms de l'illustrateur et du créateur de la couverture (qui existent réellement, évidemment), à la recherche de ce livre qui m'a tant charmée, persuadée que j'allais rapidement résoudre cette énigme. Naïve que j'étais ! Plusieurs fois, j'ai cru atteindre mon but, mais il y avait toujours un élément manquant, un nombre de pages qui ne correspondait pas, etc. J'ai donc du me résoudre à l'évidence : contrairement aux personnages qui l'ont eu entre les mains, ce livre n'a jamais existé autrement que dans l'imagination de Paul Desalmand. À moins que… Et c'est pour moi une des très bonnes trouvailles de l'auteur : mélanger fiction et réalité pour réussir à nous faire croire à l'existence de ce roman et donc à son témoignage.

Un petit bijou de malice, d'érudition et d'humour que je relirai avec beaucoup de plaisir. Et si l'un de vous parvient à découvrir la réelle identité du narrateur, qu'il me le dise !

Laurence


Extrait :

Un roman doit commencer par une gifle et se terminer par un coup de poing, me dit un frère de papier. Pour un autre, il faut impérativement un cadavre dans le premier chapitre. Tous se méprennent sur mon projet. Je souhaite uniquement raconter ma vie de livre d'une façon linéaire. J'ai donc tout banalement commencé par l'entrepôt à la sortie des presses pour continuer par les librairies et les bibliothèques où j'ai vécu, qui furent le lieu de longues discussions entre compagnons de rayonnage. Je m'y étais même fait un ami. Plus que tout, mes lecteurs, puisque je ne vivais que par eux.
Je n'écris pas un roman mais seulement un témoignage sur les principaux événements de ma vie. All is true, comme dirait ce pédant de Balzac. Mon existence a été mouvementée. Il n'empêche, si les pages qui suivent ont une quelconque valeur, elles ne le doivent qu'à leur véracité.
J'ai plus de vingt ans, ce qui n'est plus la première jeunesse pour un livre ayant beaucoup baroudé, mais je suis assez bien conservé. J'ai bénéficié d'un lifting il est vrai. Trois choses seulement dont je ne parlerai pas afin de préserver un peu de mystère : mon auteur, mon titre et le nom de l'éditeur

Le pilon
Le Pilon
de Paul Desalmand - Éditions Quidam - 145 pages