Dans ce récit publié en 2001 et traduit en 2007, Carlos Liscano revient sur ce que furent les 13 années de prison pour raisons politiques. Il revient plus particulièrement sur les six mois où il fut systématiquement torturé, cagoulé, menotté, isolé.
Il raconte, avec une grande sobriété, une grande pudeur, de l’ironie aussi parfois, ce que ce furent ces six mois d’enfer. Aucun pathos, aucun apitoiement sur lui-même, les faits nus. De courtes phrases sèches, de courts chapitres décrivent avec précision les tortures, l’enfermement, le comportement des tortionnaires, les liens étranges qui se nouent malgré tout entre ces derniers et le prisonnier dont le seul objectif est de résister, ne pas trahir, rester digne malgré la souffrance, l’humiliation d’un corps réduit à l’animalité.
L’œuvre est divisée en trois parties d’inégale longueur. Dans la première, intitulée Deux urnes dans une voiture, l’auteur évoque sa vie d’avant, plus particulièrement des moments précis de sa vie d’avant, ayant un lien avec ses parents et les valeurs qu’ils lui ont transmises, ces valeurs qui lui ont permis de tenir face au bourreau. La deuxième partie, Soi et son corps est comme un dialogue entre l’esprit et ce corps torturé, ce corps qui endure, mais sur lequel il s’appuie pour résister malgré tout. Dans la troisième partie, S’asseoir et attendre ce qui arrivera, C. Liscano dit la longue attente du prisonnier, l’horizon sans cesse plus lointain de la liberté.
La liberté pendant des années et à tout jamais, c’est courir dans une immense plaine blanche au crépuscule.
Il attend ce moment où le fourgon des fous ramènera chaque prisonnier à son domicile, à « la plaine blanche » de la liberté.
Un livre magistral qui rappelle le Primo Levi de Si c’est un homme par sa volonté de mise à distance et son acuité, et par la profondeur de la réflexion qu’il suscite. Un livre bouleversant, à découvrir absolument.
Du même auteur : Le lecteur inconstant
Marimile
Extraits :
Voilà plusieurs jours que je suis dans une caserne de l’armée, cagoulé jusqu’aux épaules ; pantalon, maillot, slip, chaussures trempés. J’ai 23 ans. Je ne sais ni quel jour nous sommes ni quelle heure il est. Je sais qu’il fait nuit, et qu’il est tard. On vient de me ramener de la salle de torture, qui est au rez-de-chaussée, en tournant à gauche au pied de l’escalier. On entend les cris, un torturé, un autre, un autre et un autre encore, toute la nuit. Je ne pense à rien. Ou je pense à mon corps. Je ne le pense pas : je sens mon corps. Il est sale, couvert de coups, fatigué, il sent mauvais, il a sommeil, il a faim. En ce moment au monde il y a mon corps et moi. Je ne me le dis pas ainsi, mais je le sais : il n’y a personne d’autre que nous deux. De nombreuses années passeront, presque trente, avant que je puisse me dire ce que je ressens. Pas me dire « que ressent-on » mais que ressentons-nous lui et moi ?
Le fourgon des fous de Carlos Liscano - Éditions 10-18 - 161 pages
Traduit de l'espagnol (Urugay) par Jean- Marie Saint-Lu
Commentaires
lundi 19 mars 2012 à 10h19
Carlos Liscano est depuis longtemps sur ma liste et il va vraiment falloir que je me décide à faire sa connaissance !
lundi 19 mars 2012 à 14h09
Rose, tu ne le regretteras pas!j'ai eu un vrai coup de coeur pour cet écrivain que je considère comme un grand d'Amérique latine et d'ailleurs!j'ai acheté quasiment tous ses livres, qu'on trouve en poche, et en ce moment je lis "Souvenirs de la guerre récente" en attendant de me les procurer en espagnol.
lundi 19 mars 2012 à 21h49
Merci Marimile pour cette découverte : de mon côté je ne connaissais pas d'auteur uruguayen, mais tes deux billets ont attiré mon attention. Et si tu le compares à Primo Levi, alors, je le mets sur ma prochaine liste de livres à aller chercher à la bibliothèque
vendredi 30 mars 2012 à 16h44
Je viens de terminer le "fourgon des fous". Je ne peux rien ajouter à ton billet Marimile, tout est dit et c'est bouleversant.