J'admire l'imagination de l'auteur, d'être capable de dénicher de telles idées, de les mener ainsi au bout, Les démonstrations de ces maux du subconscient en pathologie bien concrètes ou pas – la frontière est si ténue - sont présentées avec une logique implacable, de façon cohérente et avec toujours une grande compréhension pour les souffrances, les frayeurs des patients. On est toujours à la limite du « surnaturel » et du réel. Et ça passe ! Et vous chamboule pas mal.
Finalement, la folie n'est jamais aussi loin de nous que nous le croyons. Il suffit de si peu de choses. C'est le cauchemar d'un écrivain, sa lutte contre la redoutée page blanche (Soignez-moi !). Que dire de cette phobie des couleurs, de cette manie de ne supporter que le mauve pour tout environnement. La guérison ne viendra qu'après le choc d'un tee-shirt jaune fluo. L'horreur ! (Mauve alors !). Je ne vous parlerai pas de la vie impossible d'une pauvre mère ne sachant dire non à sa fille et qui doit s'occuper d'un increvable hamster. L'enfer existe sur terre ! (Increvable).
Avec Insomnies, on se penche sur les soucis des vrais insomniaques souffrant de jours sans fin, de ceux qui ne dorment jamais totalement profondément. Ici, j'ai aimé cette discussion entre un corps fatigué, épuisé par manque de sommeil et le petit cerveau obstiné qui réfléchit à toute heure sans jamais de repos. Le corps accusé de ne vivre que pour l'instant présent, son petit confort. Le cerveau lui pense au futur et ne s'arrête jamais. On a tous un jour connu cette monstrueuse envie de débrancher son cerveau pour avoir enfin la paix.
Merci de cesser de respirer est bien la nouvelle qui m'a le plus effrayée parce que basée sur un fait réel. C'est l'horrible sort d'Iris, une anorexique dont la maladie n'est évoquée que uniquement par le biais de sa fragilité de brindille, son évanescence. Effrayante aussi son adhésion à la thèse d'un mouvement, ayant pignon sur rue, prônant l'extinction volontaire de l'espèce humaine. On reste scotché. J'ai rarement lu une chute de nouvelle aussi fracassante.
Je peux vous assurer que les quatre autres textes sont de la même veine. La lutte contre proscratination via votre chaîne hi-fi, c'est le cauchemar assuré (Conversation hertzienne). Il faut s'accrocher pour cet étonnant voyage dans les dédales de l'esprit. Cette lecture pourtant vous offre de quoi se remettre un peu en phase.
Une auteur à suivre de très près.
Dédale
Extrait :
Cela faisait quinze ans que je faisais le même cauchemar. Toutes les nuits, je croyais me réveiller dans ma chambre, alerté par un bruit provenant du tiroir de mon bureau. Parfois, j'imaginais qu'il s'agissait d'un rongeur que j'aurais malencontreusement enfermé et qui me supplierait de le délivrer. Mais toujours je me levais pour ouvrir le tiroir. Et, là, quelque chose me sautait au visage avant de retomber par terre. Je me penchais et m'apercevais qu'il s'agissait d'un petit bout de papier plié sur lui-même. Un insigne petit bout de papier qui, sous mes yeux, se dépliait et se mettait à grandir de façon exponentielle jusqu'à me dépasser de plusieurs têtes. D’autres petits bouts de papier se mettaient à pleuvoir du plafond, comme si les murs s'effritaient, donnant vie à une multitude de feuilles géantes qui possédaient des pattes. Et je me retrouvais pourchassé par d'immenses feuilles blanches qui tentaient de me dévorer. J'entendais leurs dents claquer, bien qu'elles n'aient pas de visage. Épouvanté, je courais dans toute la maison à la recherche d'un stylo dans le but de leur percer le cœur. Mais lorsque je mettais enfin la main dessus, je m'apercevais que la plume était toute molle, semblable à de la cire fondue. Au moment où les feuilles voraces m’encerclaient, prêtes à m'étouffer, je me réveillais en nage. Cela faisait quinze ans que je souffrais de dépression. Quinze ans que, tous les matins, je m'asseyais devant la même feuille blanche qui, au fil du temps, avait fini par devenir jaune. J'avais tout essayé, testé tous les compléments alimentaires censés booster le cerveau, suivi tous les conseils. « Pour bien cuisiner, il faut du bon matériel », prêchait ma mère. Cela faisait quinze ans que je collectionnais les stylos dans l'espoir que l'un d'eux me motive à écrire. Mes tiroirs étaient surpeuplés d'acquisitions coûteuses, mais aucune n'avait régurgité la moindre goutte d'encre.
Soignez-moi ! de Aurélia Demarlier - Éditions Kirographaires - 223 pages
Commentaires
mardi 20 mars 2012 à 12h02
ce billet +l'extrait donent envie d'aller voir de plus près même si j'ai d'autres sangliers sur le feu! en plus, j'aime bien le nom de l'éditeur.
mardi 20 mars 2012 à 12h28
Hé, hé, Marimile, je veux bien goûté à tes sangliers rotis
Plus sérieusement, tente cette lecture. Tu m'en diras des nouvelles.