Dans la nouvelle principale il y a surtout il y a cette famille anglaise : Debbie est journaliste, elle a connu son mari Robin aux Beaux-arts, et ils sont décidé ensemble qu’il avait plus de talent qu’elle, ou plutôt qu’elle avait plus de chance de travailler avec ses diplômes, alors il est devenu artiste et elle travaille pour le journal Domaine de la femme. Avec leurs deux enfants Jamie et Natasha, il n’est pas facile pour Debbie d’organiser la vie quotidienne. Sans l’indispensable Mme Brown, elle n’arriverait à rien. Alors s’il le faut, elle tâche d’arrondir les angles entre cette dernière et Robin, qui la chicane tout le temps parce qu’elle touche à ses affaires dans son atelier.

Aujourd’hui, par exemple, le pauvre petit Jamie a une crise de varicelle, et Debbie est restée travailler à la maison en attendant le docteur. Mme Brown est derrière elle avec son aspirateur. Elle porte toujours des vêtements très surprenants, avec un mélange bariolé de couleurs qui désespère Robin, qui travaille justement la rencontre des couleurs. Alors Robin a entrepris de faire un cours à Mme Brown pour qu’elle apprenne qu’il existe des couleurs qui vont bien ensemble et d’autres qui ne sont pas faites pour être juxtaposées. Justement il doit recevoir dans son atelier la belle Shona Mc Ruby de la galerie Callisto. Shona Mc Rury évolue dans l’atelier de Robin avec ses boucles d’oreilles topaze et ses souliers en lézard. Robin voit bien qu’elle ne comprend rien à ce qu’il poursuit à travers ses toiles. Mais ce n’est pas grave. Shona Mc Rury s’éloigne. Mme Brown la retient un instant sur le seuil, mais Debbie n’entend pas ce qu’elles se disent. La chute de cette nouvelle ne manquera pas de ravir le lecteur.

La troisième histoire met face à face une universitaire de renommée, intelligente et solitaire, et un critique d’art reconnu pour son travail sur le Maître. Tous deux attablés dans un restaurant chinois, dans lequel trône une vitrine renfermant une langouste (ou plutôt un homard) et deux crabes, qui vont passer à l’as pendant que les deux dîneurs dégustent leur repas. Le problème qui se pose au Dr Himmelblau (ciel bleu) c’est qu’elle a reçu la lettre d’une étudiante accusant le critique d’art, par ailleurs professeur à l’université, en charge de suivre son mémoire, de jugement sexiste et même d’attouchement sur sa personne, ce qui, au vu de la description qu’en fait son professeur, semble hautement improbable…

Chacune de ces trois histoires est placée sous le signe du grand peintre français : « Peintre par excellence de la beauté par excellence et sereine ». Dans chacune de ces nouvelles on retrouve des allusions aux fameux collages du peintre français.

Avec un humour très british, A.S. Byatt dépeint des situations cocasses avec une grande finesse. L’auteure britannique née en 1934 connaît son sujet&nbsp: très affûtée sur le peintre de la couleur, elle sait aussi très précisément décrire ses personnages d’un point de vue psychologique. A l’image de la dernière nouvelle : derrière l’intelligente Dr Himmelblau se cache une femme qui a été confrontée au suicide et qui a souffert par amour. Et de cela elle sait très bien parler.

Alice-Ange

Extrait :

C’est après que Debbie les eut rabibochés que Robin a donné à Mme Brown des explications sur le rouge et le vert. Il a reculé la pomme contre la pelote d’épingles et redéployé les violettes devant la saucière de Monet, à côté du bougeoir bleu cobalt, qui a un peu la forme d’une gentiane, d’une haute corolle au bout d’une tige. Mme Brown aurait préféré que les fétiches soient rangés en demi-cercle comme un arc-en-ciel, de l’infrarouge à l’ultraviolet, pour ainsi dire. Robin a dit :
« Certaines combinaisons produisent certains effets. Par exemple, l’opposition du jaune et du violet, du bleu et de l’orangé, qui peut sembler « naturelle » en un sens, parce que les ombres naturelles sont bleues ou violettes. La lumière et l’ombre, vous voyez ? Tandis que le rouge et le vert, si vous les mettez côte à côte – parfois vous pouvez voir une espèce de ligne jaune qui danse là où ils se rencontrent -, et cela n’a rien à voir avec la lumière et l’ombre, mais, peut-être, avec le fait que si vous ajoutez, je dis bien ajoutez, certains rouges à certains verts vous pouvez obtenir du jaune, ce que vous n’auriez jamais deviné.
- Les géraniums sont naturels » a dit Mme Brown

Histoires pour Matisse
Histoires pour Matisse de Antonia Susan Byatt - Éditions Le Livre de Poche - 154 pages
Traduit de l'anglais par Jean-Louis Chevalier