Dès le début de ce roman tragicomique, le ton est donné : le lecteur est plongé au cœur du désert d’Atacama au nord du Chili, dans les années trente, dans un de ces villages qui poussèrent comme des champignons lors de l’essor des mines de nitrate exploitées par des compagnies étrangères et qui disparurent tout aussi rapidement quand le déclin arriva, condamnant à l’exode vers la côte les milliers de travailleurs qui peinaient dans ces mines.

C’est ce nouveau Far-west que décrit l’auteur qui connaît bien la région puisqu’il y est né et qu’il y a travaillé, avec ses tripots, ses bordels, ses aventuriers de tout poil. Outre les établissements déjà cités, l’entreprise la plus prospère semble être celle des pompes funèbres. La police ? Inefficace et corrompue. La justice ? Son représentant, un juge intègre tombe malade et s’en va. D’ailleurs les plus chanceux s’en vont peu à peu. Dans ce village sans foi ni loi, écrasé de misère et de soleil, les seuls recours sont la ruse et la force. Malarrosa, fillette de 13 ans, ne manque ni de l’une ni de l’autre. Orpheline de mère, elle accompagne partout son bon à rien de père, ancien mineur et  joueur professionnel malchanceux, affublée de vêtements masculins, telle un nouveau Kid accroché aux basques de Charlot. Elle veille sur lui, le protège et va jusqu’à lui fournir un porte-bonheur (je ne dévoilerai pas lequel) qui, enfin lui donnera la chance au jeu, mais aussi le conduira à sa perte. Alors, seule, elle décidera ou croira décider de son destin, déjà inscrit dans son nom. Autour du couple formé par le père et sa fille gravitent des personnages hauts en couleur tel Oliverio Trébol, dit Tristesburnes, champion de lutte qu’on vient de loin voir se battre et sur lequel on parie, amoureux de Morgano la fleur bleue du désert, ou l’institutrice, mademoiselle Isolina del Carmen Orozco Valverde, respectée de tous et incarnation de la vertu rigide dans un monde où la vertu n’a que faire.

Malarrosa est un roman picaresque et truculent, d’une lecture agréable mais qui parfois verse dans la facilité. J’ai cependant aimé la façon dont l’auteur évoque les grandes luttes minières et les répressions toujours sanglantes qui s’en suivirent, et ses descriptions du désert d’Atacama où tout semble se dissoudre dans un mirage.

Marimile

Extraits :

Le mirage vient d’éclore : c’est une rose née de la seule réverbération, de la seule vapeur des sables brûlants, de la seule imagination de la pierre ; une irréalité absolue, un pur rêve de pierre devenu rose incorporelle, volatile, translucide comme des ailes de libellule. Voilà ce qu’est un mirage dans le désert, tellement irréel qu’il n’existe que dans la pupille de celui qui le regarde, de celui qui, fatigué et assoiffé, scrute l’horizon comme on hume la mer, comme on flaire des yeux et, au lieu de l’arôme marin, voit se former un mirage, une illusion qui peu à peu s’amplifie, se dilate comme sous l’action d’un souffleur de verre Voilà comment naissent les mirages : par la grâce de qui les regarde. Car un mirage n’existe que par le regard, comme Dieu n’existe que si on y pense. C’est ainsi que naît un mirage et c’est ainsi qu’il meurt, qu’il s’évanouit, qu’il s’évapore comme le reflet sur la rétine de celui qui voyait en lui une rose fragile, fugace, éthérée, aussi irréelle que l’écho de l’imagination.
Les mirages créés au fil des ans dans les provinces enfiévrées du désert étaient innombrables. Cependant, deux sortaient du lot, ils étaient présents dans les mémoires et revenaient souvent dans les conversations : la silhouette de Notre Seigneur Jésus-Christ, d’une douceur biblique, soulevant la poussière des chemins salpêtreux et le triomphe sur les scènes les plus diverses de la région d’Enrico Caruso, le célèbre ténor italien à la voix de cristal.

Malarrosa
Malarrosa
de Hernan Rivera Letelier - Éditions 10-18 - 161 pages
Traduit de l'espagnol (Chili) par Bertille Hausberg