« À vendre »... cela n'aurait pas dû l'arrêter, lui qui ne comptait rien acheter, surtout en ces temps de crise conjugale. Mais peut-être est-ce justement à cause de cela que ce panneau résonne comme une promesse. Une bicoque loin de la ville et des tracas. Un endroit où se reconstruire. Pourquoi pas ?
Alors le narrateur gare sa voiture et jette un coup d'œil sur la face de la maison et le petit jardinet qui l'accompagne, sans y croire, juste comme ça. Mais Jo, le propriétaire du lieu est tellement surpris de trouver enfin un potentiel acquéreur, qu'il ne compte pas le laisser filer aussi vite.

Un étrange dialogue va alors se nouer entre les deux hommes : entre pudeur et amitié naissante, ils vont le temps d'une après-midi apprendre à se connaître, à deviner leurs aspirations respectives. Mais il est des coins reculés des Landes où rien ne se passe jamais comme on le prévoyait...

On ne peut pas continuer comme ça est un texte très court, mais dans lequel Anne-Marie Garat fait preuve d'une grande maîtrise de la narration. Avec une économie de mots, elle installe très vite une atmosphère, campe ses personnages dans toute leur complexité et réussit en plus à surprendre son lecteur dans les toutes dernières lignes. Et puis, comment résister à ces descriptions des Landes de Gascogne ? Les images sont saisissantes, on a l'impression d'être au milieu de la forêt, de percevoir cette lumière si particulière, de sentir la mousse et les pins, d'entendre le bruissement de la rivière. Anne-Marie Garat nous offre à la fois une ode à sa région natale et une intrigue particulièrement efficace. Du grand art !

Du même auteur : La Diagonale du square dans le coffret Travelling, 4 courts métrages littéraires.

Laurence

Extrait :

J'ai coupé le moteur, et, tout d'un coup, je me suis retrouvé dans le silence. J'ai allumé une cigarette. Je ne peux pas dire que je n'avais pas une petite idée derrière la tête, mais c'était vague. Je la laissais flotter. Dans le grand silence, j'ai pris le temps de tirer de longues bouffées de fumée, de regarder la bicoque abîmée, vieux vert avec sa pompe vieux rouge, et la forêt derrière, les fougères orange, la brume blanche autour, comme du lait. Tout ça m'avait l'air bien tranquille, et abandonné, on aurait dit un rêve. Dans le fond, par derrière, j'entrevoyais un bâti de bois, une sorte de grande, genre atelier ou remise de tracteur, aux portes pourries barricadées de planches, à demi effondré sous les ronces. Le plus drôle c'est que c'était à vendre. Un type s'était imaginé que sa ruine pouvait intéresser quelqu'un. Le plus drôle, c'est que, ce matin-là, ce quelqu'un aurait pu aussi bien être moi.

On ne peut pas continuer comme ça
On ne peut pas continuer comme ça d'Anne-Marie Garat - Éditions de l'atelier In8 - 33 pages