Rajoutez-y des personnages secondaires truculents : « Fuck » (ça ne s’invente pas, ce sont ces initiales) un paparazzi rompu aux techniques d’observation des people, « Shotemur » le responsable du KGB à Murghab, là où dans son exil punitif au Tadjikistan, notre héros sera chargé de relever les numéros d'immatriculation des voitures franchissant la frontière avec la Chine, ou encore le colonel « Otchakov », patron des services secrets qui ne s’exprime en code qu’avec des citations littéraires.

Et imaginez qu’un projet islamiste soit fomenté contre la star musicale Britney Spears consistant à l’enlever aux yeux de la foule : après tout pourquoi pas ? : « Il n’est pas plus absurde – et plutôt plus facile – de s’en prendre à Britney Spears qu’aux tours du World Trade Center, et que la valeur symbolique de la première, aux yeux du public américain, est à peine moindre que celles des secondes ».
Le tout, sous la plume de Jean Rolin, est du plus haut comique, cocasse, déjanté.
Notre héros, sorte de Dujardin dans son personnage de OSS 117 qui ne connaît rien aux lois des star people, va revenir bredouille de cette mission. Même si nous le retrouvons au fil des pages, l’esprit plutôt détourné de sa mission initiale, lorsqu’il porte un intérêt croissant, et purement sentimental, pour Lindsay Lohan, autre navrante héroïne pour tabloïds. Mais qu’importe.
Voilà la littérature qui s’éprend d’un monde jusqu’ici étanche : le monde des peoples, des paparazzis et de tous ceux qui gravitent autour : gardes du corps, hôtels et boutiques de luxe, fans en tous genres.

Mais c’est peut-être la ville de Los Angeles qui est le personnage principal du roman. Des descriptions minutieuses de la cité vue d’un piéton – chose rarissime dans une ville où chaque foyer a en moyenne entre deux et trois véhicules à sa disposition - une ville à la fois fascinante et repoussante, qui voit se côtoyer le grand luxe et la grande pauvreté.

Les amateurs de littérature auront évidemment vu le clin d’œil à Marguerite Duras dans le titre. Beaucoup d’humour donc chez Jean Rolin, mais le « ravissement » n’est-il pas aussi cette fascination béate qui prend dans ses filets de nombreux fans attirés par les starlettes blondes et trashs comme les insectes autour d’un lampadaire ? Comment expliquer sinon que Lady Gaga et Britney Spears fassent la course en tête pour le nombre de « suiveurs » sur leur compte Twitter (5 millions de suiveurs pour Britney Spears) ? Et que font toutes ces vidéos sur des sites très visités, comme « Hollyscoop » ou « Hollywoodgossip », dans lesquelles on voit par exemple : « une séance de pose à laquelle Lindsay Lohan s’est prêtée récemment dans le studio du photographe Tyler Shields » ? Qui les regarde ? N’est-ce pas une critique des réseaux sociaux et de leurs effets pervers, de la question de la médiatisation à outrance ? Et que faisons-nous de nos vies dans une société envahie par l’yperconsommation ?

Et si derrière cette histoire loufoque, se cachait une autre histoire dans laquelle Jean Rolin se moquerait du vide de nos vies et de notre manière de les remplir d’inepties ? Le lecteur fera son choix, mais sans oublier que, de toute façon, ce « ravissement » là recèle certainement d’une bonne dose d’humour.

Alice-Ange

Du même auteur : Ormuz

Extrait :

Lindsay Lohan back to blonde ! » (Lindsay Lohan de nouveau blonde ! ). Le titre faisait la une du site de l’agence X17, le 26 mai, cependant que sur celui du Sun, un quotidien britannique coutumier des informations douteuses, on apprenait que Britney Spears avait formé le projet de se faire cryogéniser en vue d’une résurrection à une date indéterminée. (Auparavant, elle aurait envisagé de faire convertir ses cendres en diamant, mais une opération de ce genre, pour flatteuse qu’elle soit, ne vous permet pas de revenir d’entre les morts.)
La nouvelle concernant Lindsay était accompagnée d’images la montrant telle qu’on ne l’avait pas vue, en effet, depuis longtemps, radieuse et blonde, vêtue d’un jean élimé et d’une veste rouge tellement délavée, quant à elle, et déchirée, qu’elle semblait rescapée d’un naufrage (telle que Lindsay aurait pu la soustraire, sur la plage de Vénice, parmi les objets disparates échappés de la coque du Feral, le bateau rejeté par la mer de l’attorney Kirschbaum, dont le même jour on apprenait que le corps avait été retrouvé à la dérive, porteur d’un gilet de sauvetage désormais inutile, à quatre milles au large de Long Beach), le visage en partie recouvert par des lunettes noires, se frayant un chemin à grand-peine, avec le concours de deux gardes du corps, au milieu d’une foule de paparazzis véritablement déchaînés, au sortir d’un salon de coiffure que dans un premier temps l’agence X17 avait faussement identifié – une fois n’est pas coutume – comme le Byron, alors qu’il s’agissait manifestement, ainsi qu’on pouvait le vérifier aussitôt sur le site de TMZ, du salon d’Andy Lecompte, sur Almont.

Ravissement de Britney Spears
Le ravissement de Britney Spears de Jean Rolin - Éditions P.O.L - 288 pages