Dans les romans de Hervé Sard, y a une enquête policière, forcément. Ici, on a droit à trois mortes d'un coup, toutes retrouvées en petits morceaux éparpillées sur les voies du RER C entre Viroflay et Chaville. Forcément, les bleus, les flics, ça les intrigue parce trois de suite ou presque, ce n'est pas toujours une affaire « d'accident de personne ». Les bleus, des flics peu ordinaires : le capitaine Évariste Blond (prononcez Blonde) assisté de Christelle, stagiaire de l'ENM rêvant de bosser chez les OPJ, sans oublier Florence la belle de nuit, la flic spécialiste du Net et autres cinglés du clavier. Un temps, ils feront appel aux services d'un extra extra-terrestre : Timothée, le coloc taiseux sorte de gothique de Christelle.

Comme d'habitude, cette équipe là vaut son pesant. J'arrive toujours pas à comprendre où l'auteur va les trouver. Ils n'existaient pas, il les a inventé, eux, leurs us et coutumes, leur façon de causer. J'aurai jamais pensé au Quai des orfèvres sous ces habits là.

Mais mon cœur a tout de suite penché pour ceux du Quai des gueux. Là-bas, dans les cabanes installées sur le terrain le long des voies ferrées. Y vivent une poignée de gens de la rue qui ont trouvé là un petit coin où s'ancrer, où vivre comme ils peuvent de débrouilles, de système D, de solidarité bien à eux. Sous la houlette de Capo, - faut pas croire il y a des règles de vie, on ne fait pas n'importe quoi ! -, ils se « cramponnent comme des naufragés sur un radeau qui prend l'eau »
On trouvera Môme à la mémoire qui flanche et Betty Boop pour la gente féminine. Pour ces Messieurs, on a Capo, Boc' ou Boccuse le cuistot-bricolo-Géo-trouve-tout et Krishna entre deux nuages dont on ne sait quoi. Parfois Luigi passe en visite entre deux vadrouilles ailleurs toujours accompagné de son caddy grinçant.

Évidemment dès qu'il y a du grabuge et surtout quand il y a « trois mortes dont deux graves », les bleus sont chatouilleux avec les gueux. Mais allez donc leurs faire comprendre que ce n'est pas parce qu'ils sont près des lieux des crimes qu'ils ont quelque chose à se reprocher. Veulent juste vivre leur présent, oublier leur passé parfois lourd et chaotique.

Je ne vous raconte pas la suite, ni le détail parce que cela ne se raconte pas. Tout prendrait immanquablement de sa saveur. Ce Crépuscule des gueux est excellent, d'une grande originalité dans le fait que l'auteur ne se focalise pas sur les enquêteurs, même s'ils ont évidemment leur rôle à jouer. L'intrigue policière est ficelée comme il se doit. Mais le cœur du roman est chez les Gueux qu'il sait mettre intelligemment en avant. Ceux que l'on ne regarde plus, que l'on ne veut pas voir. Je peux vous assurer que ça vous remue, vous interpelle férocement sans se départir d'un brin de gaîté et d'humour pas piqué des vers. On en redemande de suite.

Quels personnages, mazette ! Quelle profondeur ! Timothée a bien été le seul a avoir compris les comparses. Les gens de la ville et ceux qu'ils voient passer matin et soir coincés dans leurs trains de banlieues devraient en prendre de la graine. Entre eux, ils se parlent, ils s'écoutent, ils vivent en-sem-bles !

Les Gueux vous saluent bien.


Du même auteur : La mélodie des cendres, Mat à mort, Vice repetita, Morsaline

Dédale

Extrait :

Blond désignait du menton un alignement de cabanes, à une petite centaine de mètres en direction de la gare de Chaville, en bordure de la voie ferrée. Des constructions de bric et de broc, en bois, en tôle, en on n'aurait su dire quoi. Quelques pierres ou parpaings sur des toits en plastique ondulé. Des tables en PVC qui avaient dû être blanches. Des bancs. Et des gens.
- Regarde…
- Regarde quoi ? Les baraquements ? Et alors ? C'est moche et ça sent le pauvre. Pas cool, le village vacances. C'est un peu… caillon, non ? Un peu beaucoup. Il y en a partout, des comme ça, en banlieue. C'est moche. C'est moche, la banlieue.
- Oui. Des cabanons d'ouvriers, comme on dit, qui transforment les abords des voies en potagers.
- C'est illégal ? Et on envoie le 36 pour ça ?
- C'est illégal. Toléré, mais illégal. Ces terrains sont propriété de la SNCF. Le hic, pour certains, c'est que « les ouvriers » de ces cabanons n'ont jamais pinté à l'usine. Ce sont des clodos. Ils ne savent même plus eux-mêmes comment ils s'appellent. Des années qu'ils vivent là. Les gendarmes leur fichent la paix. Tant que les voisins ne disent rien… En général, ils ne disent rien. Ils se font offrir quelques légumes de temps en temps, ça fait de la présence au bout de leur jardin et du coup ça limite les risques de cambriolage. La SNCF accepte aussi de les avoir là, surtout depuis la hausse des cours des métaux. Piquer des câbles est devenu sport à la mode. C'est moins classe que braquer des banques, mais c'est moins risqué et plus rentable. Business is business.
- Mouais. Admettons. Motif de notre enquête de terrain, capitaine ? Enquête de terrain vague ? De terrain glissant ? C'est le nouveau repaire de la pègre, ton bidonville ? Même pas peur. La vache, tu devrais aller voir les Roms de Nanterre ! En comparaison, ton sous-monde, c'est le club Med'
- Reconnaissance. Reconnaissance, et réflexion. Stagiaire Christelle Audoin, je vous présente le Quai des Gueux !

Le crépuscule des gueux
Le crépuscule des gueux de Hervé Sard - Éditions Krakoen - 293 pages