Alasdair Gray nous explique, dans la préface, qu'il n'est pas l'auteur de l'histoire que nous allons lire. Il s'agit en effet de la reproduction (illustrations comprises) d'un livre publié à compte d'auteur en un unique exemplaire et trouvé dans les poubelles d'un notaire. Son auteur serait un certain McCandless, médecin de la fin du XIXe siècle et époux de la première femme chirurgien de l'empire britannique. Si le récit qu'il livre est pour le moins étrange, Alasdair Gray ne doute pas une seconde de ce témoignage et nous propose de nous livrer à la fin de notre lecture, les preuves historiques attestant de sa véracité.

McCandless, le narrateur, raconte comment quand il était étudiant en médecine, il s'est lié d'amitié pour un étrange jeune homme, au physique repoussant et au comportement étrange,  Godwin Baxter. Ce dernier était le bâtard d'un chirurgien aussi connu que contesté.  Une après-midi, alors qu'ils se promenaient ensemble, Baxter lui avoue qu'il poursuit le travail de son père en se livrant à d'étranges expérimentations et qu'il souhaite lui présenter sa dernière création. C'est ainsi que McCandless fait la connaissance de Bella, une jeune femme d'une vingtaine d'années, absolument magnifique mais ayant des réactions assez surprenantes.

Nous connaissions Frankenstein et sa créature. Voici Baxter et la sienne : Bella est le résultat d'une opération ahurissante. Le corps d'une jeune femme retrouvée morte noyée  auquel Baxter a greffé le cerveau du fœtus encore vivant qu'elle portait. Bella n'est donc pas une créature effrayante physiquement, bien au contraire, mais cette jeune femme épanouie physiquement, se retrouve avec les capacités mentales et la naïveté d'un nourrisson. De quoi déclencher des situations pour le moins cocasses…

Pauvres créatures est un roman jubilatoire. La structure du récit reprend les codes des romans gothiques du XIXe siècle, Alasdair Gray joue sur les narrations et les styles avec une grande habileté mais surtout, tout le récit est traversé par un humour absolument délicieux. Et si l'on rit beaucoup en lisant ce roman, Pauvres créatures n'en livre pas moins une réflexion aiguisée sur la société britannique victorienne, le droit des femmes, la morale et les conventions. Car en imaginant un être vierge de tout préjugé dans le corps d'une femme au physique ravageur, Alasdair Gray peut ainsi mettre à jour toutes les incohérences et les hypocrisies d'une société bien pensante. C'est d'ailleurs assez amusant de voir que si l'histoire est sensée se passer à la fin du XIXe, certaines situations n'ont pas beaucoup évolué depuis.

Au moment d'entamer ce récit, je ne connaissais que peu de choses sur l'auteur. J'ai depuis appris qu'il est le fondateur de l’École de Glasgow (mouvement littéraire écossais) et que son travail est reconnu et admiré dans tout le Royaume Uni. Je le crois sans mal tant ce roman inclassable est un bijou d'ingéniosité, d'humour et de créativité stylistique. J'ai maintenant envie d'explorer le reste de son œuvre et si tout est à l'aune de Pauvres Créatures, je me réserve de très beaux moments de lecture.

Laurence

Extrait :

« C'est Mr McCandless, Bell, dit-il
- Sale lut Mystère Candle, fit-elle, homme nous veau avec cheveux rousse âtre, visage enterré sang, cravate bleue, gilet chiffon nez pan talon fait de marron. Veule. Lard ?
- Velours, ma petite, dit Baxter en lui souriant aussi joyeusement qu'elle me souriait.
- Veule Lourd, tissu à côtes, en côte ton, Mystère Make Candle.
- Mac Cand less, chère Bell.
- Make Candle less, faire sans chandelle, mais chère Belle n'a pas de chandelle donc chère Belle est sans chandelle aussi, God Win. S'il vous plaît soyez la nouvelle chandelle de Bell, vous nous veau faiseur de chandelle.
- Tu raisonnes magnifiquement, Bell, dit Baxter, mais tu dois encore apprendre que la plupart des mots ne sont pas raisonnables. Oh, Mrs Dinwiddie! Emmenez Belle et votre petit fils dans la cuisine et donnez-leur de la limonade et des beignets saupoudrés de sucre. McCandless et moi serons dans le bureau. […]

Pauvres créatures
Pauvres créatures de Alasdair Gray - Éditions Métailié - 286 pages
traduit de l'anglais (écossais) par Jean Pavans