Quand il arrive dans la maison familiale, c’est pour la trouver vide, le
gâteau d’anniversaire de Zantzu, intact sur la table. Prévenus de leur
arrestation imminente, au vu des activités des fils de la maison, ils
sont tous partis à pied pour Hendaye, empruntant le pont qui surplombe
la Bidassoa ce petit fleuve côtier qui sépare la France de l’Espagne. Ils se rejoindront tous à Hendaye chez une amie proche Mademoiselle Eglantine qui va leur offrir l’hospitalité.
Cette période troublée marque l’avancée des troupes franquistes et après
la reprise progressive de plusieurs régions par les phalangistes, le
pays basque vient de tomber entre leurs mains et « sus aux républicains »
est alors le mot d’ordre.
Nous allons accompagner Aïta et les siens dans leur exil. Ils seront rattrapés par la déclaration de guerre entre la France et l’Allemagne, il leur faudra alors quitter Hendaye pour aller s’installer dans une ferme isolée près de Dax. Les conditions de vie y sont certes très difficiles mais ils sont isolés et à l’abri des regards.
Léonor de Récondo, violoniste virtuose, déjà remarquée pour son premier roman La grâce du cygne, signe là un petit bijou.
Dans ce texte à plusieurs voix, celle du père qui se tait peu à peu, celle de la mère et de son petit carnet intime, celles des enfants Otzan l’aîné, musicien, poète, Zantzu l’éternel assoiffé de connaissance, et Iduri le dernier rêveur avec ses qualités de dessinateur, chacun nous parle de cet exil, de la guerre, de la résistance à l’horreur.
Avec un art maîtrisé une écriture d’une musicalité extraordinaire, c’est l’histoire d’une famille, de son déchirement à l’idée de quitter leur pays, puis de leur résignation quand les frontières se ferment définitivement pour eux. Mais c’est surtout l’histoire de l’amour qui les unit, cet amour de plus en plus fort. Être ensemble, c’est tout ce qui compte est le leïtmotiv d’Aïta.
Les mots s’enchaînent, les phrases coulent de source, un pur bonheur de lecture
Sylvaine
Extrait :
Aïta est assis sur le lit défait, il tient sa tête entre ses mains. Partir maintenant. Ces mots martèlent sa pensée. Partir maintenant à Irún. Il se lève, fait quelques pas dans la chambre. Il jette un coup d’œil distrait au miroir qui surplombe la commode. Il scrute un instant cette vie qu’il laisse. Pour combien de temps ? Quelques mois, tout au plus. Le temps de retrouver Ama et les enfants.
Être ensemble, c’est tout ce qui compte.
Il s’approche de la commode et prend une des photos encadrées, celle qu’il préfère celle qu’il regarde chaque soir avant de se coucher. Il y a Ama et son sourire, Ama et leurs trois fils. Le petit est dans ses bras, les deux autres s’accrochent à sa jupe. Bonheur furtif piégé sur du papier, volé par lui un après-midi ensoleillé, alors qu’ils se promenaient dans les jardins d’Aranjuez, cette ville qu’il doit quitter. Il sort la photo de son cadre en verre biseauté. Il la caresse du regard, puis la glisse dans la poche de sa chemise.
Être ensemble, c’est tout ce qui compte.
Mais comment partir sans se faire tuer ? Un léger rire secoue ses épaules, il n’avait jamais imaginé se poser un jour une telle question. Et pourtant, cette réalité est bien là.
Rêves oubliés de Léonor de Récondo - Éditions Sabine Wespiezer - 169 pages
Commentaires
mardi 17 avril 2012 à 09h06
Voilà, c'est vendu !
mardi 17 avril 2012 à 10h19
Si Sylvaine conseille celui-ci après avoir vanté "Le coeur glacé", je sens que je vais suivre aussi.
mardi 17 avril 2012 à 10h55
Il est sur le dessus de ma pile et je vais le lire aujourd'hui.
mardi 17 avril 2012 à 11h50
Mesdames n’hésitez pas et partez à la rencontre de Aïta et sa famille
mardi 17 avril 2012 à 14h02
L'histoire, l'époque, le style, tout m'inspire! merci Sylvaine!
mercredi 18 avril 2012 à 11h47
J'ai été d'autant plus émue par le récit de Aïta et Ama (père et mère en basque) qu'il croise en bien des point celui de ma propre famille (mon père était au camp de Gurs en même temps que les frères d'Aïta). Très beau récit, très pudique et qui dit bien l'énorme traumatisme de l'exil.