Le soleil ni la mort ne peuvent se regarder en face est une pièce née d'une amitié et d'un rêve, celui de Dominique Pitoiset, directeur artistique du Théâtre national de Bordeaux et metteur en scène. C'est sur ce rêve que Wajdi Mouawad a écrit cette histoire, comme une sorte de montage des pièces des grands tragédiens grecs que sont Eschyle, Sophocle et Euripide. D. Pitoiset et W. Mouawad voulaient raconter la défaite de Thèbes, la cité aux sept portes.

Le souci est qu'entre Eschyle et Euripide, le rapport des hommes avec les dieux a changé. Pour Eschyle, si les dieux existent, ils se moquent des hommes. Chez Sophocle, priment le doute, la conviction, l'aveuglement jusqu'à l'égarement.
Alors W. Mouawad remonte au fait commun de ces grands du théâtre antique. Il revient au plus petit dénominateur commun : l'enlèvement d'Europe à Sidon par des hommes taureau (les dieux encore eux). Il va raconter l'histoire de Cadmos partit à la recherche de sa sœur. Ne la trouvant pas, il fonde la célèbre Thèbes.

Comment vous dire cette pièce ? Ce qui va suivre risque d'être un peu brouillon. Je me lance tout de même. Au début, il y a les hommes sacrifiant pour les dieux, ces êtres sans forme, invisibles, qui les manipulent comme des marionnettes. Puis viennent les mots, et les choses se gâtent pour les hommes. Les Dieux ne leur feront pas de cadeaux car les hommes peuvent découvrir la vérité. De là, commence la tragédie.

Avec Cadmos, Laios, Œdipe, Antigone l’auteur revisite les personnages mythiques, les origines de notre civilisation. De la fondation de Thèbes, une longue histoire de vie et de mort, de sang versé pour un honneur, pour le respect d'un nom, pour un oui, pour un non, se déroulera sur des siècles sans que les hommes n'en comprennent toute l’absurdité.

Mais les hommes ont-ils réellement besoin du sang pour se détester comme pour aimer ?

Les thèmes abordés sont, selon moi, les relations pères-fils, ces pères qui n'hésitent pas à lancer leurs fils sur les routes, à les condamner à jamais à l'exil, la peur des autres, les étrangers que l'on regarde toujours d'un mauvais œil parce qu'il vient d'ailleurs, parce qu'il est différent. C'est pourquoi Thèbes a sept portes conformément au souhait de Cadmos. Ce sera aussi la recherche d’Oedipe sur ses origines. Tout être s'est un jour posé ces questions : qui suis-je ? Et d'où je viens ?
Sous le mot exil, il y a aussi l'interrogation du voyage, du nomade. Pourquoi l'errance ? Pourquoi décide-t-il un jour de se fixer à un endroit ? Pourquoi ici ? Pourquoi maintenant ?

Le texte balance entre la verve des antiques que j'affectionne et des passages écrits de façon plus moderne. Je pense là à la longue litanie obsessionnel du Sphinge débitant à Œdipe son « je sais pas » comme un vieux disque rayé.

A lecture de ce texte fort par moments, porteur d'un message de compréhension des autres, de quête personnelle, je me demande quel peut être le rendu de ce texte sur scène. Il faudrait qu'un jour je me décide à aller au théâtre et vivre ces mots autrement.

Du même auteur : Anima, Assoiffés

Dédale

Extrait :

Écoutez ma voix :
Sur les ruines de nos discordes
Nous reconstruirons les lois d'un monde nouveau
Une ville ici s'élèvera et aura les couleurs de nos passions
Et parce que le mot « étranger » nous a séparés
L'étranger dorénavant sera notre Loi.
Cette ville aura sept portes
Ouvertes chacune vers une des couleurs du ciel
Et nous serons ainsi tournés
Le jour la nuit durant
Vers les mouvements de ce qui est autre et différent
Du ponant jusqu'au couchant
Nous resterons attentifs à la marche légère
De celui qui avance avec inquiétude
Parce que de chez lui
Depuis longtemps il est parti.

Nous peuplerons notre monde.
Les étrangers s'uniront aux natifs du pays
Et les natifs du pays accueilleront encore les étrangers
Car chacun se souviendra de son père
De sa mère
Et se dira
Eux aussi un jour marchèrent pleins d'effroi
Dans les nuits profondes
Craignant l'exil à jamais.

Le soleil ni la mort ne peuvent se regarder en face
Le soleil ni la mort ne peuvent se regarder en face de Wajdi Mouawad - Éditions Actes Sud - Papiers - 117 pages