C'est d'abord un témoignage sur la transformation d'un territoire mythique parfois encore mystérieux. Mais là-bas aussi les bouleversements, la cupidité économiques y font des ravages. Des paysages sont détruits, transformés, surexploités bêtement, un mode de vie ancestral disparaît inexorablement. Ces derniers nouvelles font penser à ces « inventaires des pertes » que l'on fait souvent quand il est déjà trop tard.

Pourtant ce livre ne donne pas que de mauvaises nouvelles. Il raconte surtout de magnifiques rencontres et de belles histoires comme L. Sepúlveda sait en conter. On trouvera un centaure qui vous invite à partager un divin asado (Gauchos de Patagonie), « les plus authentiques, de ceux qui considèrent le travail non comme une malédiction biblique mais comme la façon la plus digne d'être sur terre ». Et que diriez-vous d'une virée avec le dernier voyage du Patagonia Express ?

Le tout est illustré par les superbes photos de Daniel Mordzinski. Ses clichés parlent parfois tous seuls tant ils sont forts par leur composition, le choix du noir & blanc. Il semble au fil des pages qu'en Patagonie tout ne peut être qu'intense, vrai. Tout vous envahit, rien n'est tiède.

Avec ou sans nuages, le ciel patagon semble toujours bas, il cesse d'être l'immense voûte céleste des autres latitudes et écrase le voyageur.

Comment vous dire ces portraits de la Dame aux miracles, Dona Delia Rivera de Cossio, âgée de 95 ans, fraîche comme au premier matin ? Attendrissante rencontre avec ce petit bout de femme, seule au milieu de la Pampa et de ses fleurs. Dire qu'elle a charmé les deux voyageurs est un doux euphémisme. Ou bien celui de El Tano, cet homme qui cherche un violon sous le 42e parallèle.

Pour conclure ce billet j'ai relevé ceci.

Lire ou écrire, c'est une façon de prendre la fuite, la plus pure et la plus légitime des évasions. On en ressort plus forts, régénérés et peut-être meilleurs.

C'est tout ce qui peut vous arriver de mieux avec la lecture de ce bel ouvrage.

Du même auteur : La lampe d'Aladino et autres histoires pour vaincre l'oubli, Le vieux qui lisait des romans d'amour, Journal d'un tueur sentimental, Le monde du bout du monde, Histoires d'ici et d'ailleurs, Les roses d'Atacama

Dédale

Extrait :

Le ciel était si bas qu'on pouvait le toucher. En descendant une colline, nous sommes entrés dans les nuages, un voile épais a enveloppé la voiture, nous nous sommes égarés et le hasard nous a conduit sur un sentier qui s'ouvrait près de la route reliant El Bolsón à El Maitén.
En Patagonie, on dit que faire demi-tour et revenir en arrière porte malheur. Pour rester fidèle aux coutumes locales, nous avons poursuivi notre chemin car le destin est toujours devant, et on ne doit avoir dans son dos que la guitare et les souvenirs. Nous avons fait trois kilomètres au pas en comptant sur l'éternelle solitude des chemins jusqu'au moment où les nuages se sont trouvés légèrement au-dessus du véhicule, et la lumière passant à travers ce filtre d'humidité a alors donné aux choses un ton gris-vert inquiétant.
Curieusement, le vent omniprésent soufflait avec douceur et nous pouvions sentir le parfum des herbes et des fleurs sauvages qui devaient certainement pousser tout près de l'endroit où nous nous trouvions. A un détour du sentier, les arômes sont devenus plus perceptibles, se transformant en fragrances qui parfumaient l'air et nous invitaient à nous arrêter.
A une centaine de mètre du chemin, il y avait une petite maison, anormalement petite car, ici, les constructions répondent aux exigences de la vie difficile en Patagonie. Elles servent d’habitation, de remise et même de bergerie pour les moutons qui, lorsqu'ils sont trop fragiles, sont tenus à l'écart ou évincés de la chaleur du troupeau. En nous approchant, nous avons vu avec étonnement qu'elle était entourée de roses, d’œillets, de géraniums et d'hortensias extraordinaires qui diffusaient leur langage de couleurs et de parfums. On en voit pas beaucoup de jardins en Patagonie. La main cruelle du vent arrache les boutons et les pétales ou coupe les tiges de sa faucille glacée quand il souffle du sud. En cherchant la porte, nous avons découvert un verger et nous sommes restés ébahis devant la taille des fruits. Des courges de plusieurs kilos, des calebasses énormes, deux pommiers et un poirier aux branches chargées de fruits appétissants séparaient les légumes du champ de fraises poussant à fleur de terre. C'était un jardin de l'abondance, un poème à la générosité de la terre.
[…]
Alertée par les aboiements d'un chien, une vielle dame est sortie sur le seuil de la porte. Elle était petite car les années nous font rapetisser et nous rapprochent, avec une implacable compassion, de l'étreinte définitive de la terre. Elle nous a fait signe d'approcher et nous lui avons obéi.

Dernières nouvelles du Sud
Dernières nouvelles du Sud de Luis Sepulveda et Daniel Mondzinski - Éditions Métailié - 190 pages
Traduit de l'espagnol (Chili) par Bertille Hausberg.