Autobiographie ? Certes, mais aussi bien plus que cela. Bien sûr, l’auteur nous raconte son enfance au sein d’une famille atypique entre un père avocat dont il ne comprendra que plus tard les multiples absences, une mère aimante et fantasque, une nounou haïtienne adepte du vaudou et une jeune institutrice communiste et austère. Mélange détonnant ! Suivent les années de lycée et d’études à la Faculté de la Havane où se nouent des amitiés avec les futures élites de la Révolution castriste, Raùl Castro entre autres, la passion précoce pour la littérature, le journalisme, puis le théâtre et le cinéma et les engagements politiques. Tout ceci est mené à un train d’enfer, parallèlement à la peinture de la vie cubaine des années 30 à 68.

Eduardo Manet est un témoin privilégié de ces années de fièvre, qu’il évoque les discussions passionnées de ses parents et de leurs amis pendant la guerre civile espagnole, l’interventionnisme américain dans les affaires du pays, les différentes dictatures, celles de Machado et plus tard celle de Batista qui précédèrent la Révolution, puis les années Castro.

Membre de la Nomenklatura intellectuelle, il voit de près l’évolution du castrisme, de l’explosion de l’enthousiasme et des libertés du début au désenchantement et à la peur qui suivent. Il part en 68, ne pouvant accepter le silence du Comandante, devant l’invasion soviétique en Tchécoslovaquie.

J’ai eu beaucoup de plaisir à lire ces pages pleines de vie dans lesquelles l’auteur laisse éclater son amour pour Cuba sans s’appesantir sur sa tristesse face aux dégâts causés par un pouvoir qui ne pense qu’à se survivre.

Marimile

Extrait :

Ma mère était fière de ses cheveux et de ses yeux, « plus noirs que l’onyx ». Fuyant le soleil cubain qu’elle trouvait beaucoup plus fort que le soleil andalou de sa naissance, elle refusa toute sa vie de se rendre à la plage.
« Je n’ai pas besoin de rôtir sous le soleil tropical. Je tiens à garder le teint de mes origines. »
Ses origines…
Encore une source de mensonges éhontés. En fonction de son interlocuteur, ma mère se proclamait « syrienne » ou « gitane ». Je l’ai même entendue évoquer une fois, son « arrière-grand-mère turque ». Quand je m’étonnais de l’incohérence de ses affirmations, elle prenait un air de Mater dolorosa, imitant le regard éploré et le geste tragique d’une Vierge peinte par Murillo, et qu’elle tenait pour son portrait tout craché.
« La vie est dure mon fils, murmurait-elle en caressant mes cheveux aussi noirs, bouclés et huilés que les siens. Sache que je ne mens jamais, je donne juste un peu de couleur aux choses qui sont grises. J’invente une stratégie de survie. Un jour tu comprendras. Je te le promets, un jour je te dirai tout. »
Chaque matin selon l’humeur elle nous jouait un rôle. Quand elle réveillait la maison en fredonnant un air d’Imperio Argentina tout le monde comprenait que, ce jour-là, Sarah-Soledad jurerait devant l’image de la Macarena qu’elle était née en pleine sierra Morena, au sein d’une tribu de gitans fiers de leur liberté et n’ayant peur de rien ni de personne.

Mes années Cuba
Mes années Cuba de Eduardo Manet - Éditions Grasset - 311 pages