Mais ses parents ne vont pas bien, sa mère surtout, elle perd la tête. Elle en oublie même de planter ses fraises.
Les heures, les lieux ne correspondaient plus. Et alors que chaque année, début juin, elle faisait la première confiture de fraises, parce qu’elle avait attendu avec impatience les premiers fruits sucrés de l'été pour les envoyer à ses enfants, elle oubliait maintenant de planter des fraises.
Et puis il y a une ombre sur le tableau.
Lydia a vécu il y a quelques années une période difficile. Elle buvait. Un homme s’est occupé d’elle à ce moment-là, un certain Rüdiger, un type qui n’est pas très fréquentable et qui s’est engagé dans la Légion avec un autre individu, Martin, au passé aussi douteux.
Tous les éléments du drame sont là : on le sent monter à travers la filature auxquels les deux légionnaires se livrent pour surveiller Lydia et sa fille Rachel. La menace est très présente : Rüdiger et Martin sont les témoins d’un autre monde, un monde où on tue impunément, un monde de folie meurtrière, en Afghanistan, en Afrique ou ailleurs. Et quand on revient dans la vie civile, on ne peut pas se réadapter à la vie de tous les jours.
Un autre drame se joue dans le même temps. Hilde perd la boule et Anton, malgré tous ses talents de médecin, ne peut rien contre la rapide dégradation de la mémoire. Il aurait besoin de l’appui de sa sœur Caroline, mais celle-ci a fait le choix de vivre aux Etats-Unis, peut-être pour ne pas assister à la déchéance de sa mère.
Hilde vit encore sa passion : elle s’obstine à vouloir planter des fraises comme avant, quand Caroline et Anton étaient petits, ensuite elle en fera des confitures et tout continuera comme avant.
Katharina Hacker parvient à décrire les errances de la mère avec beaucoup de tendresse. Ce sont deux générations, mais aussi deux univers (la campagne et la ville de Berlin) qui sont dépeintes par l’auteure allemande.
Peut-on tourner la page d’un passé obscur ? Anton va-t-il réussi à fonder une famille avec la belle Lydia et avec Rachel, qu’il aime déjà ? Grâce à une construction de points de vue successifs, Katharina Hacker nous tient en haleine jusqu’au bout, jusqu’à la scène de la récolte des fraises pour laquelle tous les personnages vont se retrouver.
Une belle sensibilité pour décrire des personnages avec des failles – humains donc.
Alice-Ange
Extrait :
Mère ?
C’est ainsi que Caroline, bien qu’elle soit la cadette, appelait sa mère, le seul mot qui convenait, depuis des années déjà, mais maintenant, en le prononçant, elle comprit pourquoi ce n’était pas seulement une distance, pas un mot par lequel elle voulait se distinguer de son grand frère qui était resté près des parents, mais son vrai nom, car cette femme, Hilde Weber, née Hübner, était sa mère, dans un ordre où elles avaient chacune leur place, dans la mesure, pensa Caroline, où un ordre quelconque pouvait avoir un sens. Elle devait parler plus fort, sa mère n’avait pas l’air d’entendre.
Tu es toujours là ?
Bonjour, madame Hübner ! disait une voix d’homme.
Caroline sursauta, comme si c’était elle qui avait commis la bévue, comme si c’était sa faute si l’ancien nom avait resurgi, Madame Hübner, répétait sa mère dans un murmure, honteuse. Mais ce n’est pas moi. Et Caroline l’entendit se tourner de nouveau vers le téléphone, et elle perçut aussi que sa mère avait oublié avec qui elle parlait. Allô ? Elle l’avait dit si timidement que Caroline en eut les larmes aux yeux.
Mère, c’est moi !
Mais qui était-ce, et où es-tu, où est père ?
Oui, père.
Non, je veux dire papa, ton mari.
Ah, dit sa mère, mais elle hésita et Caroline comprit que ce n’étaient pas les oublis, c’étaient les trop nombreuses directions que prenaient les pensées, trop de ramifications, tout était trop confus, nul ne pouvait s’y retrouver.
Ah mère, dit sa fille qui se serait bien tue.
Mais qui est là ? demandait Hilde Weber, méfiante.
Les fraises de la mère d'Anton de Katharina Hacker - Éditions Christian Bourgois - 166 pages
Traduit de l'allemand par Marie-Claude Auger
Commentaires
mardi 22 mai 2012 à 17h32
Ah la famille! Que serait le roman sans elle? quand j'en aurai terminé (???)avec ma période latino, je regarderai ces fraises de plus près.
mardi 22 mai 2012 à 19h02
et un de plus à noter !
mardi 22 mai 2012 à 19h46
Décidément, Alice-Ange, tu fais des ravages sur nos listes.
mardi 22 mai 2012 à 22h41
Après la famille grand déballage (Annie Saumont) voici donc la famille où la Grand-mère ... sucre les fraises. Mais celle de Katharina Hacker, avec sa confiture de fraises à tout prix, est tout de même bien sympathique ...