Cet attentat et le suivi qu'en font les média rythme cette journée du 11 avril. Au fil de la journée, Vladimir entend le décompte du nombre de morts, écoute les déclarations des hommes politiques. L'extérieur envahit le quotidien du correcteur, plongé dans Les démons de Dostoïevski, et s'il ne rejette pas cette intrusion de la violence, on sent que Vladimir n'est pas très à l'aise.
Il sent en effet que cet attentat n'est pas l’œuvre des basques. Impossible, selon lui, qu'ils aient eu recours au mode opératoire décrit. Et l'histoire lui donne raison, avec la revendication de l'attentat par un groupuscule islamique, au nom d'Al Quaïda.
L'attentat est surtout l'occasion pour lui d'un retour à la fois sur la société contemporaine et son matérialisme outrancier mais aussi sur son intériorité. Il y aborde sa relation avec Zoe, sa compagne, et raconte le mensonge qui a marqué toute sa vie, ce fils qui vit en Australie et dont il n'a jamais parlé à personne, conservant quelques photos cachées dans quelques livres.
Le propos est intéressant, passant rapidement de l'intime à l'universel. Un petit bémol néanmoins, sur le style de l'auteur, Ricardo Menéndez Salmón. Le propos est dense et parfois un peu touffu. Mais il faut peut-être accepter de se perdre dans cet ouvrage, marqué par la peur, thème de ce dernier opus d'une trilogie intitulée La trilogie du mal.
Extrait :
Il y a une phrase de Boèce qui illustre tout aussi bien l'amour perdu, les désirs de gloire avortés et les échecs sportifs. Les classiques possèdent cette vertu d'ubiquité. La phrase en question dit : "La plus sensible douleur des misérables, c'est le souvenir d'avoir été heureux". J'avais pour ma part connu une modeste félicité en tant qu'écrivain, je conservais de mes premières années de labeur une image chaleureuse, gaie, voire naïve mais pleine d'instants mémorables, et cette image avait volé en éclats lorsque j'avais découvert que presque personne ne s'intéressait à ce que j'avais à dire et que ma voix, comme celle des fous, ne produisait aucun écho. J'ai très vite rendu les armes, c'est vrai ; il en est d'autres qui ne jettent l'éponge qu'à un pas de la tombe, si ce n'est déjà à moitié enterrés. Au bout du compte, la littérature n'est pas si importante. (Même si lorsqu'elle te manque, ou lorsque, comme ce jour-là, tu entends à nouveau la mélodie de la séduction, tu la vois comme le berceau du monde.)
Le correcteur de Ricardo Menéndez Salmón - Éditions Jacqueline Chambon - 128 pages
Traduit de l'espagnol par Delphine Valentin
Commentaires
mercredi 23 mai 2012 à 22h24
Très intéressant, pour ma part je ne connaissais pas ce Ricardo Menendez Salmon, je vois qu'il y a deux autres romans de lui traduits en français : "L'offense" et "La philosophie en hiver", je vais chercher à en savoir plus sur cet auteur.
jeudi 24 mai 2012 à 07h51
Je ne connaissais pas non plus avant que le roman soit sélectionné pour un prix initié par la médiathèque de Lomme (dans la banlieue lilloise). Je savais qu'un auteur espagnol attirerait quelques fidèles lecteurs du Biblioblog!
jeudi 24 mai 2012 à 10h11
Moi non plus, je ne connais pas cet auteur. Ce qui me parait intéressant, c'est ce retour sur les attentats du 11 mars à Madrid,qui avaient traumatisé les Espagnols,mais, à ce que j'en sais,n'avaient pas suscité de réflexion littéraire.
mercredi 4 décembre 2013 à 11h43
Yohan,j'avais complètement oublié que tu avais chroniqué "Le correcteur", que je viens d'emprunter à la Médiathèque et dont je viens de terminer la lecture...et c'est vrai que le propos,l'intrusion dans la vie de tous les jours d'un évènement tel que les attentats du 11M, m'avait vraiment interpellée.J'ai beaucoup aprécié la façon dont l'auteur en rend compte, les interférences entre le choc reçu, la correction de l'édition des "Démons" de Dostoievski, et la baguette de pain qu'on va acheter malgré tout parce que la vie continue.J'ai été par contre beaucoup moins convaincue par son idée de"la correction comme métaphore de l'existence". Et comme toi, j'ai trouvé le style parfois touffu et un peu obscur. Un comble quand on est à peine remise de la lecture du pavé de Jaume Cabré!
samedi 21 décembre 2013 à 10h39
Merci de ce retour de lecture, Marimile.
Concernant le style, il y a certains auteurs qui maîtrisent parfaitement le style et avec lesquels une écriture complexe est un plaisir à lire. Ce que Menendez Salmon n'a pas réussi à rendre totalement ici, Jaume Cabre semble l'avoir réussi dans Confiteor !