Isolé, seul, sans emploi, il erre comme une âme en peine sur le môle au bout duquel se dresse le phare.

C’est alors que, telle une fée surgis de nulle part, une femme portant sur sa tête « une couronne de reine byzantine », s’approche de lui ou plutôt rapproche ses lèvres des siennes et s’en va sans un mot comme elle était venue.

Qui est-elle ? Que lui veut-elle ? Pourquoi lui ? Toutes ces questions tourbillonnent dans sa tête. Un autre signe lui parviendra un matin, dans sa boîte aux lettres une très belle enveloppe et juste un nom et une adresse…
Comment lui immobile depuis tout ce temps, planté là par hasard, prendra-t-il la décision de bouger ou non, de répondre à l’appel de celle que le narrateur appelle Lynx ? Max Jacob ce sublime poète breton, déporté mais mort à Drancy avant de monter dans ces funestes wagons, lui donnera la clef du Départ.

Adieu aussi mon fleuve clair ovale,
Adieu montagne ! Adieu arbres chéris !
C’est vous qui tous êtes ma capitale
Et non Paris.

Un texte d’une émouvante beauté, où l’écriture magique ne peut laisser indifférent.

Mêlant harmonieusement le plausible et l’imaginaire, la réalité et le rêve (ou cauchemar ! ), l‘amour et l‘Amour, Anne Weber accessoirement traductrice de Pierre Michon et Marguerite Duras en allemand, écrivant 2 versions de chacun de ses livres - l’une en allemand, l’autre en français - m’a conquise par le force de ses mots, par la tournure de ses phrases et leur musicalité.

Une lecture qui s’achève par une descente aux enfers revisitée ma foi fort brillamment mais je ne vous en dis pas plus car ce serait déflorer cette histoire à multiples rebondissements .

Sylvaine

Extrait :

Lorsqu’il sentit une main sur son bras, il tourna la tête, surpris ; n’ayant pas vu la femme s’approcher, il ne savait pas d’où elle sortait, tout à coup. Son premier regard la saisit de tout près et encore très brièvement puisque, une respiration plus tard, les lèvres de la femme s’approchèrent déjà des siennes. Il ne recula ni ne se pencha vers elle  un instant, leurs lèvres, ni ouvertes ni complètement fermées, sèches et chaudes, se touchèrent. Quand elle se détacha, elle détourna presque aussitôt la tête et, de nouveau, il n’aperçut que furtivement son visage déjà en fuite, mais c’était une fuite sans hâte et, peu après, il ne vit plus que son corps de plus en plus menu à mesure qu’elle s’éloignait, sa démarche souple, ses épaules étroites et, au-dessus, se balançant doucement, une couronne de reine byzantine…

D’où venait le chant ? De la fenêtre ouverte où se tenait Milan, le regard levé sur le ciel crépusculaire et humide, il entendait une voix lointaine, à peine audible, claire comme celle d’un très jeune garçon, entre l’ange et le rossignol. Comme ce chant se prolongeait, Milan se demanda s’il n’avait pas sa source en lui-même. Des chauves-souris dansaient à travers le ciel dans ce mouvement fébrile et abrupt qui ne ressemble à aucun vol d’oiseau. Elles jouaient au vertige. Leur vol faussement désordonné était d’une frénésie que rien ne pouvait apaiser, une façon chaotique et acharnée de labourer le ciel, comme suscitée par un danger mortel. Chaque chauve-souris semblait fuir un persécuteur invisible, et cette fuite mobilisait toutes ses forces et ne permettait pas le moindre répit. Sans relâche, il lui fallait décrire des zig- zags de lièvre en 3D.

Vallée des merveilles
La vallée des merveilles de Anne Weber - Éditions du Seuil- 228 pages
Traduit de l'allemand par Anne Weber.